Juliette Debruxelles
Sexe et société : entre porno pro et porno amateur, les frontières s’effacent
Avec Internet et les plateformes spécialisées, le sexe tarifé s’est ouvert à tous, y compris papa, maman et l’oncle André. Pour consommer ou s’exposer, vendre ou acheter, montrer et être vu.
Montrer. Montrer et être vu. Et gagner du fric, de la moula, dix balles par-ci, dix balles par-là. Jusqu’à considérer son corps et ses plaisirs comme des produits low cost ou contrefaits. Si le sexe tarifé consenti (du moins en apparence) existait bien avant Internet, la frontière entre clients et prestataires semblait assez nette, tout comme la distinction entre porno pro et porno amateur.
Plus maintenant, car l’ubérisation de la société s’ouvre aussi massivement au travail du sexe. Papa, maman et l’oncle André peuvent désormais profiter de plateformes comme OnlyFans ou Mym pour vendre du «contenu nu» à des personnes prêtes à payer des abonnements pour les voir batifoler. Il s’agit donc ici d’une nouvelle manière de consommer du sexe. Une tendance démocratisée, il y a une dizaine d’années, par les «cam girls» qui, munies d’une webcam, invitaient des regards inconnus dans leur chambre virtuelle d’ingénues.
Papa, maman et l’oncle André peuvent désormais vendre du «contenu nu» à des personnes prêtes à payer pour les voir batifoler.
Des plateformes très accessibles concurrencent donc aujourd’hui les sites pornos historiques en perte de vitesse et contribuent à rendre poreuses et visqueuses les frontières de la morale commune («On ne montre pas son zizi en public») et de l’intimité.
A l’inverse de Facebook, YouTube ou Instagram – que l’ombre d’un téton scandalise –, elles prônent pour qui veut la liberté d’exposer du turgescent. La chair à saucisse est ici produite en continu, avec des ressources humaines inépuisables, puisque appâtées dans toutes les couches de la société.
On y trouve des influenceurs richissimes, des mamans fauchées, de jeunes gens bien de leur temps et des anonymes prêts à tout écarter pour tout déchirer. Car pour «monétiser», il faut repousser les limites des fantasmes. Encore. Plus loin. «Il y a de la demande et on y répond», justifiait récemment une mère de famille nombreuse «célèbre» qui, pour quelques dizaines d’euros, satisfait les commandes de clients excités en leur envoyant des vidéos de ses pieds.
Quand les amateurs ringardisent les pros
Et alors? Les gens n’ont-ils pas le droit, dans le respect de la loi, de faire ce qui leur chante de leurs fluides, de leur langue et de leurs doigts? Certes. Mais ça n’empêche pas de s’interroger sur la fracture qui se crée entre sites professionnels de plus en plus encadrés et plateformes d’amateurs de moins en moins moralisées.
On sait que l’exposition de l’acte sexuel ne date pas d’hier et n’a pas attendu les réseaux, mais ce qui change, c’est l’augmentation considérable du pourcentage de chances de croiser le scrotum de son coiffeur screenshoté. Ce qui change, c’est de savoir que nos filles, nos fils ou leur père pourraient se laisser tenter par un revenu complémentaire vite gagné.
Jadis, dans les magazines et cassettes vidéo X, il était question d’infirmières salaces et de pompiers très outillés, pas de particuliers éblouis par la petite monnaie et la notoriété. Internet a été créé pour offrir au monde toute la connaissance humaine jusque-là accumulée… et une avalanche de sites pornos gratuits, consultables à l’envi(e). Avec leur si grande liberté, les plateformes «amateures» ringardisent les sites «pro» qui, eux, sont sujets à la remise en question et voient des catégories problématiques effacées («Submissive Women», «Young and Old»).
Sans ces sources «officielles» de matières toujours plus chaudes, les plateformes de contenus amateurs ont pour mission d’innover. Reste aux médias obscurs à glisser la main dans l’élastique qui retenait encore les gens de la vraie vie à la frontière de leur pudibonderie. A leur offrir argent, banalisation de leur sexualité et badge sur lequel est gravé «de toute façon, tout le monde le fait».
Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.
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