Anne Lagerwall

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Caster Semenya: une sportive surfemme et sous-citoyenne? (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’athlète avait subi une violation du droit au respect de sa vie privée en se voyant imposer de prendre un traitement médical.

Les sportifs de haut niveau sont-ils des citoyens de seconde zone? Telle était la question qu’abordait en 2011 Pierre Collomb, un pionnier du droit du sport en France. Quatre ans plus tard, le professeur de droit public Eric Péchillon s’interrogeait au sujet du «sportif surhomme et sous-citoyen». Lui fallait-il renoncer à sa liberté individuelle pour faire du sport de compétition?

Ces réflexions étaient émises dans le contexte de la lutte contre le dopage dont tout le monde reconnaît l’importance, tout en ignorant souvent ce qu’elle implique de disponibilité de la part des sportifs et des sportives. Certaines associations syndicales avaient d’ailleurs attrait la France devant la Cour européenne des droits de l’homme il y a quelques années en arguant que l’obligation de localisation imposée aux membres du «groupe cible» défini par l’Agence nationale française antidopage afin d’effectuer des contrôles inopinés portait atteinte au respect de leur vie privée. Il faut dire qu’il était permis de les contrôler entre 6h et 21h pendant les événements sportifs et les entraînements mais également hors de ces périodes, y compris durant les congés ou les arrêts maladie. La Cour n’avait toutefois pas été convaincue que de telles modalités portaient atteinte à leurs droits humains.

A quelques semaines de l’ouverture des Jeux olympiques, se tenaient le 15 mai devant la Cour européenne des droits de l’homme des audiences relatives à «l’affaire Semenya», du nom de l’athlète sud-africaine double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres. Caster Semenya est née avec un taux naturel de testostérone plus élevé que la moyenne. Elle s’est plainte devant le Tribunal arbitral du sport de ce que l’Association internationale des fédérations d’athlétisme lui impose, pour pouvoir concourir dans la catégorie féminine des compétitions, de prendre un traitement médical afin de réduire ce taux de testostérone, sans qu’on en connaisse précisément les effets secondaires. Le Tribunal ne lui donna toutefois pas gain de cause, pas plus que ne le firent les juges suisses. Dans une décision rendue voici un an, la Cour européenne des droits de l’homme estima quant à elle que l’athlète avait notamment subi une violation du droit au respect de sa vie privée dont on pouvait même considérer qu’elle était discriminatoire. La décision était adoptée à une courte majorité des juges et l’affaire est à présent devant la grande chambre de la Cour dont on verra si elle confirme cette analyse.

Le sexe des sportives semble attirer bien davantage l’attention que celui des sportifs. Certaines n’en seront pas surprises dès lors que le corps des femmes paraît toujours faire l’objet d’un examen plus minutieux et d’injonctions plus précises, en particulier lorsqu’il défie les normes. La devise olympique «Plus vite, plus haut, plus fort» a sans doute été pensée pour les hommes par Pierre de Coubertin, l’inventeur des Jeux dont il écrivait en 1912 qu’ils constituaient «l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’applaudissement féminin pour récompense». Depuis 2021, la devise a été modifiée en «Plus vite, plus haut, plus fort, ensemble». Tous ensemble et toutes ensemble?

«Un athlète doit-il renoncer à sa liberté individuelle pour faire du sport de compétition?»

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