Gérald Papy

Pour une défense utile de Boualem Sansal (chronique)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Quand les élites européennes comprendront-elles que l’argument des valeurs occidentales n’est plus audible dans le Sud global?

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, auteur des remarquables romans Le Village de l’Allemand (Gallimard, 2008) et 2084: la fin du monde (Gallimard, 2015), a été arrêté à son arrivée à l’aéroport d’Alger le 16 novembre. Dix jours plus tard, il a été placé en détention «en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien qui réprime l’ensemble des atteintes à la sûreté de l’Etat», a annoncé son avocat.

Cette mise en accusation suscite la légitime inquiétude de sa famille, de ses proches, de ses collègues. Prestement, des intellectuels et des lauréats du prix Nobel de littérature ont publié, en France, des tribunes, des éditorialistes ont écrit des commentaires, tous pour s’indigner de l’atteinte à la liberté d’expression ainsi perpétrée contre un pourfendeur de l’islamisme et de l’autoritarisme, et pour exiger sa libération. La réaction est a priori louable. Mais sert-elle réellement Boualem Sansal?

Avant l’annonce officielle par la justice algérienne de la détention de Boualem Sansal, l’agence de presse Algérie Presse Service (APS) et la télévision, dans un sujet diffusé le 24 novembre, avaient donné des premiers indices de ce qui lui était reproché. Il était question de propos, tenus en octobre lors d’une interview au média d’extrême droite français Frontières, affirmant que tout l’ouest de l’Algérie appartenait historiquement au Maroc et que c’est le colonialisme qui a tracé les frontières actuelles entre les deux pays. Les relations entre l’Algérie et son voisin occidental sont historiquement tendues en raison du contentieux lié au Sahara occidental, revendiqué par Rabat et par le Front Polisario indépendantiste sahraoui soutenu par Alger. Elles sont un peu plus exacerbées depuis que le président français Emmanuel Macron a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur ce territoire lors d’une visite dans le royaume chérifien du 28 au 30 octobre.

La télévision algérienne avait parlé à propos de Boualem Sansal de «lourdes accusations» à l’encontre d’un «agent ayant des origines marocaines» et avait rappelé que l’atteinte à l’unité du pays peut être assimilée à un crime et à un acte terroriste. L’article du code pénal en vertu duquel l’écrivain a été placé en détention confirme cette prévention. L’incrimination n’a pas de quoi rassurer. Elle heurte bien évidemment tous les démocrates. Mais l’Algérie n’est pas une démocratie; elle est un pouvoir autoritaire et, qui plus est, elle se construit désormais en forteresse assiégée face à l’offensive maroco-française.

On peut, au nom des principes démocratiques, s’indigner de cet état de fait. On ne peut toutefois pas en faire fi si l’on veut que le dossier de Boualem Sansal soit traité selon les principes universels de la justice, avec, en premier lieu, le droit à une défense équitable. Celle-ci passe par l’examen strict des accusations à son encontre et le rejet de tout ce qui viendrait le perturber, comme le sentiment d’une pression suprémaciste occidentale que les indignations immédiates venues d’Europe risquent de consacrer aux yeux des Algériens. Il serait temps que les élites européennes comprennent que cet argument n’est plus audible dans le Sud global.

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