Franklin Dehousse
Réseaux sociaux et Commission peu sociable (chronique)
L’UE s’est dotée d’une batterie monumentale de législations destinées à éviter les nombreux dérapages de ces réseaux sociaux. Pourtant, ils prolifèrent toujours autant.
Nous vivons de plus en plus dans 1984, superbe roman d’anticipation de George Orwell. Sauf que «Big Brother» s’appelle ici Musk, Zuckerberg, Pichai ou Durov. Nos préférences culturelles, sexuelles, gastronomiques ou politiques sont définies par des algorithmes que personne ne connaît. Cette dépendance apparaît d’autant plus grave que les réseaux sociaux sont devenus, au sens propre, les autoroutes de l’information. Plus que la télévision, encore plus que la presse, ils offrent la première source d’information dans l’opinion publique.
L’Union européenne s’est dotée d’une batterie monumentale de législations destinées à éviter les nombreux dérapages de ces réseaux sociaux. La propagande officielle ne cesse de s’y référer. Pourtant, les fake news, les faux utilisateurs, les harcèlements et la diffamation prolifèrent toujours autant. Huit ans après les manipulations de Cambridge Analytica lors du référendum sur le Brexit et les tripotages de Poutine dans l’élection de Trump, il n’existe toujours pas d’action adéquate. Comme souvent en Europe, un décalage monumental se révèle entre les ambitions affichées et les réalisations concrètes.
C’est dans ce contexte qu’en août dernier, le commissaire européen Thierry Breton a diffusé une lettre adressée à Elon Musk, qui a suscité rapidement une réaction insultante du CEO de X… et une réaction vipérine de la Commission von der Leyen. Il se référait à deux événements. D’une part, les émeutes racistes au Royaume-Uni. Pendant cette période, Musk avait relayé sur son compte personnel des messages d’extrême droite, et annoncé la nature inévitable d’une «guerre civile». D’autre part, l’annonce par Musk d’un entretien avec Trump sur son propre réseau. Le commissaire avait estimé utile de rappeler les obligations légales.
D’emblée, ce choix suscite des doutes. La Commission européenne est-elle la plus légitime à intervenir pour préserver l’objectivité de l’information au Royaume-Uni et aux Etats-Unis? On en doute. Ne pourrait-elle trouver des illustrations dans les 27 Etats membres de l’Union? On en doute encore plus. A ce titre, l’intervention de Breton paraît très maladroite, et même amateuriste. On sent le souci de se faire remarquer. La réaction de la Commission paraît tout aussi surprenante. «Le moment choisi pour l’envoi de cette lettre et son contenu n’ont été ni coordonnés ni validés avec la présidente Ursula von der Leyen», indiquait une porte-parole. Pour von der Leyen, ce n’est pas l’incohérence substantielle du message qui compte, mais la violation de son prétendu rôle hiérarchique. Seul le contrôle présidentiel sur tout message d’un commissaire semble l’intéresser. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que son aspiration générale à la censure préalable s’exprime (lire Le Vif du 21 mars). Le résultat de tout cela est que la Commission semble, une fois de plus, passionnée seulement par ses jeux nombrilistes, ce qui la discrédite face aux grands opérateurs numériques. Il ne suffit pas d’avoir de grandes réglementations. Encore faudrait-il avoir de grands gestionnaires. On en reste très loin.
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