Anne Lagerwall
La paix par le droit, une idée dépassée?
Ne pourrait-on pas imaginer qu’en rappelant les obligations et les responsabilités de chacun, le cadre juridique fourni par le droit international puisse faciliter ou encourager la diplomatie?
On avance parfois que le rappel des obligations internationales ou la qualification d’un comportement comme étant contraire au droit international ne font que tendre davantage les rapports des Etats en guerre et mettent à mal les perspectives de résolution de leurs conflits. Dans la récente affaire des conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, certains Etats ont estimé que la Cour internationale de justice (CIJ) devait refuser de répondre aux questions qui lui étaient soumises par l’Assemblée générale des Nations unies car ce faisant, elle risquait d’entraver le processus de négociation établi à travers les accords d’Oslo, d’aggraver le désaccord israélo-palestinien et de compromettre leur issue. La Cour a estimé en juillet qu’un tel risque relevait de la conjecture et s’est prononcée dans l’affaire, en rappelant notamment que la présence d’Israël dans le territoire palestinien était illicite bien avant les événements récents de Gaza et qu’il fallait qu’Israël s’en retire dans les plus brefs délais. Dans son opinion individuelle, le président de la Cour a abordé cette supposée opposition entre le droit et la paix: «En disant le droit, la Cour fournit aux différents acteurs une base fiable de règlement pour une paix juste, globale et durable. Je suis convaincu qu’un processus de négociation qui s’émanciperait de considérations juridiques et d’équité porterait en soi les germes d’un futur conflit. Les négociations sur toutes questions, y compris les préoccupations sécuritaires légitimes des deux Etats, israélien et palestinien, ne peuvent être fructueuses que si elles ont pour pierre angulaire le droit international et la justice.»
La paix par le droit est une idée qu’on trouve au cœur de la Charte des Nations unies adoptée au sortir de la Seconde Guerre mondiale et dont le préambule rappelle la nécessité «de préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances». Serait-elle aujourd’hui désuète? Rien n’est moins sûr à la lumière du récent accord conclu entre le Royaume-Uni et Maurice par lequel le premier reconnaît qu’il ne dispose pas de droits sur l’archipel des Chagos, situé dans l’océan Indien et que la Couronne a administré pendant des décennies, organisant notamment l’évacuation contrainte des Chagossiens de l’île de Diego Garcia pour qu’une base militaire états-unienne puisse s’y établir. Dans le communiqué des gouvernements britannique et mauricien du 3 octobre, on pouvait lire que «les négociations ont été menées de manière constructive et respectueuse, en tant qu’Etats souverains égaux, sur la base du droit international, et avec l’intention de résoudre toutes les questions en suspens concernant l’archipel des Chagos, y compris celles relatives à ses anciens habitants».
Lire aussi | La fin de l’Empire britannique. Really? (chronique)
Après deux années de discussions, le Royaume-Uni entend enfin se conformer aux obligations que la CIJ avait rappelées dans l’avis consultatif rendu en 2019. On peut y voir une forme d’influence que le droit international a su exercer sur les acteurs concernés pour qu’ils mettent fin à une situation illicite depuis plus de 60 ans. L’idée d’une paix par le droit est peut-être plus actuelle et nécessaire que jamais. Et on voit mal ce qu’on aurait à perdre à la prendre avec le sérieux que requièrent les dramatiques conflits actuels et leurs innombrables victimes.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici