Laurane Wattecamps
Non, les préliminaires ne servent pas qu’à préparer la femme à être pénétrée (chronique)
Tout le monde y pense, (quasi) personne n’en parle: la sexualité reste souvent cantonnée à la sphère intime et est rarement analysée comme un phénomène de société. Pourtant, sous la couette, les couples sont confrontés aux mêmes problèmes, stéréotypes, attentes. Notamment en matière de préliminaires. Sont-ils injustement boudés ?
Si l’on en croit 56% des hommes interrogés lors d’une étude Ifop en 2019, un rapport sexuel doit impliquer une pénétration pour être pleinement satisfaisant. Un chiffre qui fait écho aux résultats obtenus par l’institut canadien Sieccan: la majorité des hommes ne peuvent atteindre l’orgasme que s’il y a intromission.
Parmi les causes probables, le porno et ses images performatives qui continuent de faire la part belle au coït en se désintéressant de tout autre forme de stimuli excitants. Ce n’est pas pour autant que la gent masculine délaisse les préliminaires, mais ceux-ci ne sont pas perçus comme une pratique à part entière. Ils sont pris au pied de la lettre, selon leur définition dans le dictionnaire. Etymologiquement, «qui précède et prépare une autre chose considérée comme plus importante ou principale». Pas étonnant que la pénétration soit perçue comme le haut lieu de la sexualité puisque les préliminaires ne sont qu’une mise en bouche qui appelle au plat principal. Au grand dam du tiers d’hommes souffrant de dysfonction érectile d’ailleurs, selon une autre enquête Ifop. Mais aussi de la majorité des femmes entretenant des relations avec des hommes focalisés sur le coït.
S’affranchir de la pénétration est une métaphore porteuse d’un acte politique: celui de s’affranchir de la société patriarcale pour revendiquer une égalité des genres, y compris dans la sexualité.
Une analyse de trente-trois études a démontré que seul un quart des femmes a la possibilité d’expérimenter l’orgasme lors des rapports se limitant à la seule pénétration. Toujours selon le Sieccan, elles sont 61% à avoir besoin de caresses pour jouir. Ce constat, de plus en plus médiatisé, amène de nouvelles revendications interrogeant la place de la pénétration dans les rapports homme-femme. Et par conséquent, celle des mal nommés préliminaires.
Dans son essai Au-delà de la pénétration (éd. Nouvel Attila, 2020), Martin Page écrit: «Si la sexualité était une question de plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage.» Une citation qui fait référence à la prostate dont le potentiel orgasmique est largement encensé (mais c’est un autre sujet). L’ auteur plaide ainsi pour une exploration du corps dans son entièreté et appelle à réinventer nos sexualités en vue d’y trouver plus de satisfaction. Sexualités qui invitent à un changement de registre dans lequel les préliminaires se suffisent à eux-mêmes. Mais pour ce faire, ils nécessitent d’être érotisés. Un travail de déconstruction-reconstruction pris en charge par les protagonistes de l’éducation sexuelle, qu’ils soient particuliers ou professionnels. Et qui vise à valoriser toutes les pratiques sexuelles avec pour condition un consentement joyeux et une communication sur le plaisir de chacun.
Bouleverser nos conceptions du sexe pourrait être garant de découvertes. Le revers de la médaille? Si les comptes dédiés à la sexualité sur les réseaux sociaux prônent de plus en plus une sexualité décentrée de la pénétration, une autre forme de honte s’installe parmi la population fana de cette pratique. S’affranchir de la pénétration est une métaphore porteuse d’un acte politique: celui de s’affranchir de la société patriarcale pour revendiquer une égalité des genres, y compris dans la sexualité. Egalité qui commence par éradiquer le schéma hétéronormé disant que les préliminaires préparent la femme à être pénétrée. Et ce, afin que l’homme puisse en retirer son plaisir et mettre fin au rapport en même temps que son éjaculation. Voilà qui pourrait placer les femmes appréciant la pénétration dans une posture péjorative. Ne gagnerions-nous pas à nuancer le propos? Questionner nos pratiques et bousculer les codes passe aussi par l’interrogation de ses envies et non-envies. En ce sens, tout comme la pénétration peut se suffire à elle-même, les préliminaires peuvent être une fin en soi. De quoi redéfinir l’acte sexuel et donner aux préliminaires la place qu’on leur choisit ensemble.
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