Carte blanche

Mettre fin à un génocide par les armes?

Le 24 février 2022, le président Poutine affirmait agir en Ukraine notamment pour «protéger les personnes qui ont été soumises à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans». L’Ukraine avait saisi, deux jours plus tard, la Cour internationale de justice d’une requête qui présentait l’originalité de demander, non pas qu’on reconnaisse la Russie responsable de violations du droit international, mais plutôt qu’on établisse que l’Ukraine n’avait commis aucun génocide, ce qui invaliderait les allégations russes. Des audiences se sont tenues dernièrement à la Cour.

Une trentaine d’Etats y ont présenté leurs observations au sujet de l’interprétation qu’il convient de réserver à la Convention sur la prévention et la répression du génocide dont la portée est au cœur de l’affaire.

Si d’aventure elle se reconnaissait compétente, la Cour pourrait aborder l’une des questions les plus brûlantes du droit international: un Etat peut-il décider seul d’envoyer ses troupes sur un territoire étranger pour mettre fin à ce qui lui semble constituer un génocide?

La Cour a déjà souligné, lorsqu’elle a indiqué dans cette affaire les mesures conservatoires qui ne préjugent en rien de ce qu’elle pourrait décider sur le fond, qu’il «est douteux que la convention [sur le génocide], au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre Etat, aux fins de prévenir ou de punir un génocide allégué».

En 1999, dans le contexte des bombardements du territoire yougoslave décidés par l’Otan dont certains estimaient qu’ils pouvaient se justifier au regard des graves violations des droits humains commises au Kosovo, la Cour avait déjà noté que «cet emploi soulève des problèmes très graves de droit international».

Les dissensions qui s’étaient manifestées à ce sujet se sont répercutées au sommet mondial de l’ONU en 2005. Sous l’influence des Etats non alignés qui mesuraient sans doute le risque d’instrumentalisation d’un supposé «droit d’ingérence humanitaire», les Nations unies avaient préféré reconnaître une «responsabilité de protéger» les populations contre les crimes les plus graves. De l’avis de tous, cette responsabilité incombe d’abord aux Etats à l’égard de leurs populations et ensuite, en cas de défaillance, à la communauté internationale qui peut décider des mesures nécessaires, y compris militaires.

C’est en substance ce qu’affirment les Etats intervenant devant la Cour. Ils s’accordent pour dire que la répression du génocide ne saurait justifier l’agression d’un Etat contre un autre. Si la plupart d’entre eux soulignent, à juste titre, qu’on ne pourrait recourir unilatéralement à la force pour réprimer un tel crime, d’autres sont moins catégoriques.

Cette ambiguïté n’est pas sans rappeler celle qui a pu caractériser le monde occidental dont sont issus les Etats en question. Certains parmi eux ont précédemment pris part à des interventions militaires qui n’avaient pas été autorisées par le Conseil de sécurité, en se fondant sur des considérations humanitaires. C’est le cas de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, notamment. Si la Cour accepte de se prononcer, il est à espérer qu’elle fasse toute la clarté à ce sujet.

Par Anne Lagerwall

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