Gérald Papy
L’Iran, ce régime irréformable
Non, l’Iran n’a pas supprimé sa police des moeurs, mais l’a seulement suspendue. « Le hijab fait partie de son ADN », écrit Gérald Papy, rédacteur en chef adjoint du Vif. « De ce point de vue, le régime est sans doute irréformable car il ne peut changer son identité même. »
Au moins 450 tués, plus de 18 000 manifestants arrêtés, onze condamnations à mort prononcées: le régime des ayatollahs use d’une violence implacable et aveugle pour tenter d’étouffer la contestation qui dure désormais depuis près de trois mois. Que celle-ci perdure en de nombreux lieux du pays, se décline sous de nouvelles formes, parvienne peut-être à s’étendre, témoigne à la fois du courage extraordinaire qui anime ses actrices et acteurs et du profond sentiment d’exaspération qu’inspire à une grande partie de la population l’arbitraire du pouvoir clérical.
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La stratégie du tout répressif, qui est opposée aux protestataires rassemblés depuis le 16 septembre autour du slogan «Femme, vie, liberté» conjugué rapidement au «A bas le dictateur», démontre que le pouvoir n’est traversé ni par le doute ni par les dissensions. Une déclaration du procureur général de la République islamique, Mohammad Jafar Montazeri, le 3 décembre, sur un arrêt des activités de la «police de la guidance», qui contrôle depuis 2005 l’obligation du port du voile selon les normes édictées par le régime à l’époque du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, a laissé croire à certains que les ayatollahs avaient fait une concession pour obtenir le retour des manifestants dans leur foyer. Le propos a été mal lu ou mal interprété. Une suspension, provisoire, de la mission de la police des mœurs, vu le contexte tendu et la focalisation des forces de sécurité sur la répression, n’augure en rien de sa suppression.
L’ envisager n’est pas une option pour le régime. Car, comme le souligne le spécialiste de l’Iran David Rigoulet-Roze, «s’il acceptait de revenir sur le port du voile, ce serait comme s’il se reniait lui-même. Le hijab fait partie de son ADN. De ce point de vue, le régime est sans doute irréformable car il ne peut changer son identité même.»
Ce diktat place les manifestants qui ont mis leurs pas dans ceux des jeunes femmes à l’avant-garde du mouvement depuis le meurtre de Mahsa Amini devant un constat douloureux et vertigineux. Leur seule chance de victoire réside dans le renversement du régime.
Pour espérer y parvenir, il leur faudra grossir leurs rangs malgré les arrestations, agréger les soutiens des travailleurs et des acteurs du bazar (les piliers du commerce de détail), s’adjoindre le concours des minorités ethniques sans se laisser dévoyer par elles, bref fédérer un maximum d’Iraniens autour d’un objectif commun, dégager les ayatollahs. Il n’est pas exclu que le travail de sape déjà mené et le contexte général d’isolement du régime soient propices au succès de la révolte. Mais le chemin sera long.
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