Juliette Debruxelles

Les zizis sur les murs, c’est fini! «Quand le pénis amuse, la vulve, elle, terrorise»

Il n’y a pas si longtemps, ils faisaient encore partie du paysage. Aujourd’hui, les dessins de zizi, «plus personne ne fait ça». Mais qu’est-ce que cela dit de notre société?

Ça a toujours été sa signature à lui, de l’âge de 8 ou 9 ans à la postadolescence. Et encore aujourd’hui, à l’aube de sa cinquantaine, il lui arrive d’en griffonner sur un carnet quand il est au téléphone. Dessiner des zizis sur les murs de l’école lui a valu des punitions mémorables et des fous rires bien plus notables. Il raconte l’anecdote et on lui demande pourquoi il le faisait… «Pour rire et provoquer», répond-il. Réaction étouffée de l’adolescent présent, qualifiant l’acte de son aîné de «dégueulasse» et affirmant que «plus personne ne fait ça». Un rapide sondage informel auprès des convives confirma que les enfants de bobos, de nos jours, ne s’amusent plus de ce genre de conneries.

Alors on se rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, il était difficile de traverser une ruelle, un parc ou des toilettes publiques sans tomber sur un graffiti de pénis maladroitement esquissé. Ça faisait partie du paysage, du folklore urbain, des risques du métier des façades tout juste nettoyées. Tant d’expressions de rébellion qui se fondaient dans le paysage pour ne même plus choquer le passant! Car pour comprendre la popularité des zizis dessinés, il faut explorer leur fonction. Ce n’était pas seulement une blague, mais aussi une forme de réaction juvénile contre les normes. Ça se faisait. Ça se fait moins.

Puisque les normes d’aujourd’hui tendent à flotter sans cadre, la représentation du zizi devient, elle aussi, bien molle en matière de provocation. En 2025, dessiner un zizi, c’est petit. Enfin… ça dépend où. Car dans le monde post-MeToo, certains esprits offensés, prudents, religieux ou bien-pensants peuvent réagir par un énervement débordant.

Dessiner un sexe dans l’espace public n’est jamais neutre. Et les vulves restent des anomalies dans le paysage des graffitis gamins. Une disparité qui tient évidemment à une construction sociale où la sexualité féminine a longtemps été invisibilisée. Et qu’on ne parle pas de L’Origine du monde de Gustave Courbet, devenu tarte (au poil et) à la crème des contradicteurs. Quand le zizi amuse, la vulve, elle, terrorise.

Dans l’ère post-MeToo, certains esprits offensés peuvent réagir à un zizi par un énervement débordant.

Les Grecs et les Romains représentaient des bites partout pour attirer le bon œil (alors qu’on dit qu’elle n’en a pas). Les habitant de la commune bruxelloise de Saint-Gilles se souviennent eux aussi qu’en 2016, ils découvraient l’œuvre iconique de Vincent Glowinski aka Bonom. Un phallus géant au repos sur un mur, suivi d’un débat communal et sociétal. La fresque, d’abord jugée «gonflée», s’est finalement imposée comme une forme d’art urbain engagé (elle fut suivie, notamment, d’un anus, d’un accouchement et de quoi faire les gros titres offusqués. Ouf!). A Manchester, il y a deux ans, un activiste surnommé Wanksy dessinait des zizis sur les nids-de-poule pour attirer l’attention des autorités. Efficace: les trous furent rebouchés dans les 48 heures.

Ces gribouillages reflèteraient donc l’évolution de nos rapports sociaux, esthétiques, politiques et même urbanistiques.

Les nouvelles générations préfèrent crier leurs bails sur les médias digitaux pour exprimer leur humour ou leur rébellion. Les émojis ont remplacé les crayons. Cette migration virtuelle ne pourra peut-être pas perpétuer les blagues intemporelles.

Dans un monde en mutation, reste à voir si les vulves et les zizis peints céderont la place à d’autres symboles plus inclusifs ou plus subversifs. Les murs le diront.

Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.

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