Benjamin Hermann
Le lieu commun de Benjamin Hermann | La presse est un peu moins libre
«En dépit d’un degré de confiance relativement élevé envers la presse, les journalistes belges subissent des violences de la part de la police et des manifestants lors de rassemblements, ainsi que des menaces en ligne fréquentes ciblant surtout les femmes», indiquait, en mai dernier, Reporters sans frontières (RSF) dans son classement de la liberté de la presse à travers le monde. L’ONG plaçait la Belgique en 31e position, la faisant reculer de huit places par rapport à l’année précédente. RSF pointait notamment un climat d’insécurité grandissant pour les journalistes dans le contexte pandémique.
Mais le classement n’identifiait pas particulièrement de menaces en provenance des autorités. «Le secteur des médias semble échapper aux pressions politiques et il est protégé par un cadre législatif efficace, dont certaines mesures sont malgré tout controversées.» En Belgique, les journalistes travaillent sans subir de menaces du politique. De ce point de vue, la presse est libre et c’est très bien ainsi, aime-t-on à se rappeler.
Cette réalité est un peu moins vraie depuis la semaine dernière. Ce n’est pas le fait d’un citoyen mécontent, ni d’un internaute frustré. L’entrave résulte d’une décision de justice, confirmant l’interdiction de publication d’articles compromettants, voulue par le président d’un parti qui n’a, a priori, rien d’extrémiste ou d’antidémocratique. Il s’agit de Conner Rousseau, président de Vooruit.
Le socialiste avait fait la Une il y a un mois pour avoir tenu des propos racistes visant la communauté rom, auprès de deux policiers, au terme d’une soirée arrosée. Conner Rousseau s’est excusé publiquement. Mais l’affaire, sur la forme, reste entachée d’une vilaine histoire de censure qui inquiète juristes et journalistes.
A la suite de cet incident, il avait en effet obtenu en référé l’interdiction de publication d’un article et d’un reportage de deux médias, Het Laatste Nieuws et VTM, qui contenaient des éléments du procès-verbal dressé par la police. En rejetant, ce 26 octobre, le recours introduit par DPG Media, propriétaire des deux organes de presse, le juge des référés de Termonde a confirmé l’interdiction.
Conner Rousseau a, entre-temps, organisé une conférence de presse, lui permettant de livrer sa vérité aux journalistes et aux Belges. Mais l’intérêt de la population à avoir accès à une information traitée par des professionnels, dès l’entame de l’affaire, sera passé au second plan. Telle était la volonté du président de parti, confirmée par le juge, qui considère qu’une violation du secret de l’enquête constitue une justification suffisante. «La liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre», a commenté son avocat. Sa liberté individuelle a surtout primé sur celle du public à être informé.
Jugée au fond ou en appel, l’ordonnance ne sera peut-être pas confirmée en bout de course. En 2015, une décision similaire, empêchant la publication du magazine Médor, avait finalement été réformée. Si tel ne devait pas être le cas, le signal envoyé serait clair et inquiétant à la fois: si vous êtes une personnalité publique et qu’un article de presse compromettant s’apprête à être publié, il vous est éventuellement loisible d’en faire interdire a priori la publication. En dépit de la jurisprudence, du droit à l’information et des premiers mots de l’article 25 de la Constitution: «La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie.»
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