Benjamin Hermann
Le lieu commun de Benjamin Hermann | En politique, quand on attaque, gare au retour de manivelle
«Heureux êtes-vous si on vous insulte, si on vous persécute et si on vous calomnie de toutes manières à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux.» Ainsi est formulée la dernière des béatitudes dans l’évangile selon Matthieu.
En politique aussi, il arrive que les persécutés se trouvent récompensés. Et que les persécuteurs finissent par tenir le mauvais rôle. C’est le vieux principe du retour de manivelle. Enclenchez la mécanique et vous ne serez jamais certain des effets qui se produiront.
«Heureux êtes-vous si on vous insulte, si on vous persécute et si on vous calomnie.»
Evangile selon saint Matthieu, chapitre 5, versets 11-12.
Exemple: vous réagissez prestement au signal d’alarme envoyé par une fédération d’étudiants. Les chiffres avancés ne sont guère crédibles, mais ce n’est pas grave. L’essentiel de l’opération consiste à prendre la défense des dizaines de milliers d’étudiants (selon lesdits chiffres) qui, par l’effet d’une mesure prise par une de vos partenaires, risquent de se retrouver dans une situation de non-finançabilité. La manœuvre, au passage, vous permet de tendre un piège à votre partenaire, à l’origine de la mesure controversée. Il refusera de faire amende honorable, vous dites-vous, et sera pris en étau. Mais l’affaire prend une tournure désagréable. De nombreux académiques s’en mêlent, la polémique enfle et risque bien de se retourner contre vous. Vous voilà obligé de trouver des compromis, y compris avec un parti d’opposition que vous qualifieriez d’infréquentable en d’autres circonstances. Une partie de l’opinion entend les critiques martelées à votre endroit. Vous devenez, aux yeux de certains, celui qui a retourné sa veste par électoralisme, qui s’est montré déloyal. Vous sentez poindre le souffle de la manivelle.
Autre exemple: une ministre inquiétée pour une histoire de contamination des eaux du robinet tarde à remettre les résultats des prises de sang. L’argument coule de source: votre adversaire, qui éventuellement est aussi votre partenaire de gouvernement, joue la montre. Les résultats, s’ils étaient problématiques, pourraient la mettre en difficulté dans les urnes. Elle attend que le scrutin soit passé, pensez-vous. Vous convoquez une commission, faites fuiter des documents, vous énervez comme il se doit. Entre-temps, les scientifiques appuient le calendrier avancé par la ministre, connu de longue date, répète-t-elle en dénonçant une «mascarade préélectorale». Vos questionnements sont peut-être légitimes, mais vous passez, aux yeux d’une partie de l’opinion toujours, pour ce partenaire déloyal ou cet opposant véhément qui s’assied sur les avis scientifiques, pour tirer profit d’une situation sérieuse. La manivelle, une fois encore, vous effleure.
Dernier exemple, plus ambigu: vous débattez de la neutralité de l’Etat avec un vrai adversaire, sur un plateau de télévision. Il vous attaque, assez grossièrement, et vous lui répondez qu’il n’a pas à venir vous donner des leçons ici en Belgique, à ce député belge né au Maroc. Qu’il y a des règles, qu’on les respecte. Que si ça ne lui plaît pas, il n’est pas obligé de rester en Belgique. La majorité de vos partenaires et de vos adversaires réagissent, scandalisés par le racisme ordinaire qui transparaît. Vous vous excusez, redoutant le retour de manivelle? Certainement pas. Il n’est pas impossible que la polémique vous soit bénéfique, quelques jours plus tard, dans les urnes. Cette fois, pour vous, la mécanique aura bien fonctionné. Et peut-être aussi pour l’adversaire que vous avez invectivé, tant qu’à faire. Si tout le monde y trouve son compte…
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