Elle porte un joli chapeau de paille. Elle s’appuie sur une canne au pommeau finement travaillé. Ses cernes ont cette sombreur qui donnent souvent aux hommes des airs de voyous, des traces de rudesse ou d’usure, là où ils déposent sur les visages féminins plutôt une touche de fragilité, comme un signe d’élégance, d’aristocratie presque.
Elle a 81 ans, est officiellement retraitée mais n’a jamais autant travaillé puisqu’elle est la figure de proue de la Heritage Foundation of Pakistan, l’ONG qu’elle a cofondée en 1980, au départ pour protéger le patrimoine urbain pakistanais mais qui, depuis plus de quinze ans et le terrible tremblement de terre qui a ravagé le Cachemire le 8 octobre 2005 – 7,6 de magnitude, 79 000 morts, 40 000 sans-abri –, œuvre essentiellement à construire des habitations pour les moins nantis du pays. Un pays de plus de 230 millions d’habitants (le cinquième le plus peuplé au monde), dont 70% vivent en milieu rural et un bon tiers sous le seuil de pauvreté.
Lire aussi | Retour à la terre brisée
Elle, c’est Yasmeen Lari. Célèbre parce qu’elle y est devenue, en 1964, la première femme architecte du Pakistan. Ça n’a pas été simple mais elle a conçu le quartier des officiers de la marine, l’hôtel Taj Mahal, le Centre des finances, le siège de la Pakistan State Oil, un vaste logement social… En 2000, elle a fermé boutique pour se consacrer à la préservation des bâtiments historiques. Puis la terre a tremblé si fort que Yasmeen Lari a décidé de plutôt se dédier à celle des gens. Des plus pauvres, toujours davantage victimes des séismes, quels qu’ils soient.
Dieu sait que chez le voisin indien, ils sont légion, ces séismes. Comme s’il était cerné par les éléments colériques. Le sol y a vibré 24 fois depuis 2000 et les eaux déferlent régulièrement, comme cet été, où des inondations furent d’une violence inouïe – on dit qu’elles sont les pires de l’histoire pakistanaise: 1 200 morts, 250 000 habitations détruites, 1,8 million d’hectares de terres agricoles ravagées.
Yasmeen Lari et son organisation construisent donc à tour de bras. Des dizaines et des dizaines de milliers d’habitations, faites de bambou, au toit conique, douze mètres de diamètre, pouvant abriter cinq personnes, montables en quelques minutes (huit par jour et par équipe de cinq non-professionnels), ne coûtant quasi rien, zéro carbone et certaines sur pilotis. Elle dit que c’est «une architecture aux pieds nus, parce que les pauvres travaillent, marchent et vivent pieds nus. Si je voulais faire quelque chose d’utile pour eux, je devais moi aussi enlever mes chaussures et adopter leur point de vue.»
C’est carrément devenu un mouvement. Une philosophie de vie, à travers le pays. Formations données aux villages les plus vulnérables, tutos sur YouTube et économie circulaire créée (production locale de savon ou de céramique). Au point que certains parlent de «naissance d’une classe d’entrepreneurs aux pieds nus». Il est des cernes qui montrent l’ingéniosité, l’humilité et la noblesse. Des âmes.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici