Anne Lagerwall
L’affaire Assange ou comment décourager de révéler les parts les plus sombres de nos démocraties libérales
Julian Assange a fondé en 2006 Wikileaks, dont la vocation consiste à publier en ligne des informations révélant les abus des institutions publiques ou privées, en garantissant l’anonymat de leurs sources.
En 2008, il diffusait des images de manifestations au Tibet réprimées par les forces de l’ordre chinoises. En 2009, il évoquait l’assassinat du militant des droits humains Oscar Kamau Kingara qui avait documenté les exécutions extra-judiciaires dont les policiers kenyans se seraient rendus responsables depuis 2007. En 2011, Wikileaks illustrait les pratiques autoritaires et népotistes du président Ben Ali alors au pouvoir en Tunisie depuis plus de vingt ans. La plateforme a aussi rendu publics le déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire par la multinationale pétrolière Trafigura ou les pratiques de la banque suisse Julius Baer favorisant l’évasion fiscale pour une clientèle fortunée.
Ce sont les informations concernant les Etats-Unis qui ont surtout fait connaître Wikileaks et son éditeur dans le monde entier, qu’il s’agisse du sort des détenus à Guantanamo ou des opérations militaires meurtrières menées en Irak, en Afghanistan ou au Yémen. En 2018, un acte d’accusation est dressé à son encontre pour faits d’espionnage, en raison de la publication des câbles transmis par Chelsea Manning au sujet des forces armées déployées en Irak et en Afghanistan. Pour de tels faits, Julian Assange pourrait être condamné aux Etats-Unis à plus de 150 ans de prison.
Lorsque l’asile politique qui lui avait permis de demeurer dans l’ambassade équatorienne à Londres fut révoqué en 2019, Julian Assange a été arrêté. Il est susceptible d’être extradé vers les Etats-Unis. Des juges britanniques ont en effet estimé qu’une telle extradition ne présentait pas de réel risque que ses droits humains soient violés.
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Cela fait aujourd’hui plus de dix ans que Julian Assange est de facto privé de sa liberté, sans qu’il n’ait jamais été condamné par aucun tribunal. En 2016 déjà, le groupe d’experts des Nations Unies sur la détention arbitraire avait estimé que son confinement violait la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte relatif aux droits civils et politiques. En 2019, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture avait perçu, quand il lui avait rendu visite en prison, « tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique » et demandé que des mesures urgentes soient prises pour protéger sa santé et sa dignité. Vu l’absence totale de réaction à ses appels, le rapporteur Nils Melzer a publié son enquête qui entend montrer que « l’affaire Assange est l’histoire d’un homme persécuté pour avoir exposé les sales secrets des puissants, y compris les crimes de guerre, la torture et la corruption ». A ses yeux, ce qui se joue au sujet de Julian Assange le dépasse largement. Il ne s’agit pas tant de le punir pour ses actes que de décourager quiconque serait tenté de révéler les parts les plus sombres de nos démocraties libérales. L’avenir dira si ces dernières sont capables de prendre la défense de ce qui constitue pourtant deux de leurs piliers fondamentaux : le respect des droits humains et la liberté d’informer le public des fautes commises par nos gouvernants.
Anne Lagerwall est professeure de droit international à l’ULB.
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