Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Quels métiers pourraient (économiquement) se passer de la virilité?
Comme l’a récemment révélé une enquête du Vif, la virilité entraîne, chaque année, au moins seize milliards d’euros de dépenses publiques. Mais entraîne, par ailleurs, toute une série de bénéfices économiques… ce qui complique encore plus la mise en place d’une société plus égalitaire.
19,1 milliards d’euros. Tel est, selon le dernier décompte (février 2024), le montant du déficit public belge. Plutôt que de rogner dans les soins de santé, d’élaguer les pensions des retraités ou même de taxer les plus fortunés, faudrait-il plutôt couper… dans les frais de virilité? Salés, ces frais. 16,4 milliards d’euros par an. Une estimation minimale, récemment réalisée par une collègue; les «Vifiens» inattentifs pourront se replonger dans l’édition du 14 mars ou cliquer ici.
En voici un résumé, succinct: les hommes sont surreprésentés (voire quasi exclusivement présents) dans une longue liste de domaines. Auteurs d’infractions, personnes condamnées par un tribunal, prisonniers, victimes et auteurs d’infractions routières, gros consommateurs de soins de santé… Or, arrêter un délinquant, le condamner, l’enfermer, soigner un fumeur, un alcoolique ou une victime d’accident, ça coûte un paquet. Au moins seize milliards en Belgique, donc. Et 95,2 milliards d’euros en France (1) selon, cette fois, les calculs de l’historienne Lucile Peytavin, publiés, en 2021, dans l’ouvrage Le Coût de la virilité (éditions Anne Carrière).
Pour l’autrice, la solution pour éviter cet investissement massif de deniers publics est évidente: il suffirait que les hommes se comportent comme les femmes. Donc, en amont, que les garçons soient éduqués comme les filles (car, évidemment, la virilité n’a rien d’inné, mais tout d’acquis). «Permettons-leur aussi de jouer avec des poupons pour qu’ils apprennent aussi à s’occuper d’autrui. Verbalisons davantage les sentiments pour qu’ils soient plus empathiques. Contraignons-les suffisamment pour qu’ils respectent les règles», proposait-elle, en avril 2023, lors d’une conférence TEDx en France.
Et de poursuivre: «Grâce à cette éducation plus humaniste, nous économiserions a minima 100 milliards d’euros par an. Que nous pourrions investir dans le système des retraites, dans les hôpitaux, dans la recherche, dans la culture…»
Certaines professions n’ont, financièrement, aucun intérêt à voir émerger une société plus «féminine»
Dans le chômage, aussi. Car arrêter 85% de délinquants et de criminels, juger 85% de suspects, emprisonner 95,5% de condamnés, soigner 52% de patients aux urgences, prendre en charge les victimes des 88% des auteurs de violences conjugales et celles des 95% d’auteurs de violences sexuelles (hors famille), nécessite une flopée de policiers, un tas de magistrats et une nuée d’avocats, d’innombrables médecins et du personnel soignant, une kyrielle de psys…
La réalité économique d’une série de métiers est en effet intimement liée à cette culture de la virilité. Certes, les hommes en bleu pourraient se concentrer sur d’autres délits, les palais de justice seraient désengorgés, tout comme les cabinets des psys. Mais si cette masculinité toxique engendre un coût, elle engrange aussi des bénéfices. L’avocat a besoin du délinquant pour faire bouillir sa marmite, le médecin a besoin du fumeur pour facturer ses honoraires. Certaines professions n’ont, financièrement, aucun intérêt à voir émerger une société plus «féminine».
Alors quoi, ne rien changer? Laisser la virilité abîmer, dévaster, tuer et in fine coûter? Non. Mais constater que, décidément, cette égalité est un chantier bien compliqué à concrétiser.
(1) Des calculs similaires ont également été réalisés en Suisse (9,4 milliards de francs, soit 9,8 milliards d’euros) et en Italie (99 milliards).Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici