Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi tant de « pénis » dans l’espace public ?
Avec « Tej par texto », « Les casse-couilles de Vinted » et « Les gens dans le métro », « I see dicks everywhere » figure sans conteste parmi les comptes Instagram les plus drôles du moment – classement tout personnel. Ainsi, comme son nom l’indique, son créateur (sa créatrice ?) voit des zizis partout. Sur une cerise malformée, sur les décos de Noël d’un grand boulevard (une bougie entourée de deux boules, vraiment, les autorités locales ?), dans l’ombre d’un parasol projetée sur le mur derrière un homme assis faisant la sieste… Hilarant (oui, on a le rire facile, par ici, et alors ?).
Mais aussi dans l’espace public. Au détour d’un garde-corps aux barreaux suggestivement enlacés, d’une porte cochère à la fenêtre phalliquement arrondie, du jet d’une fontaine… Que celui ou celle qui a une minute à perdre cherche « jardin du Trocadéro » sur Google Maps, juste pour voir à qui ressemble la forme du plan d’eau de ce parc parisien.
Et ça, Patric Jean l’avait déjà remarqué en 2011, dans son documentaire La Domination masculine, toujours disponible sur Dailymotion. A un moment, le réalisateur colle au mur un tas de photos prises dans la rue : des poteaux, des piliers, des statues des colonnes… Et des tours. Beaucoup, beaucoup de tours.
L’Agbar de Barcelone. La Gherkin à Londres (et, bientôt, dans la même ville, la Spire). La Doha Tower au Qatar. La Kaikyo Yume au Japon. La New Media Center de Guangxi (lol !). Puis tous ces édifices plus modernes mais aux contours néanmoins explicites. Franchement, ça ne peut pas relever du hasard architectural. Ne parle-t-on pas, d’ailleurs, d’érection d’un gratte-ciel ?
« Erection », du latin “erectio”, « action d’élever, de dresser », dérivé du verbe “erigere” (mettre droit, ériger). Partout dans le monde, les architectes – majoritairement masculins : en Belgique, en 2021, les femmes représentaient seulement 33 % de la profession, bien que 55 % des stagiaires sortant des facultés (1) – prennent apparemment leur mission au pied de la lettre.
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Est-ce parce qu’ils aiment tant leur membre qu’ils ne peuvent s’empêcher d’en construire partout des répliques bétonnées ? Toujours plus grandes, plus hautes, plus puissantes. A celui qui aura la plus grosse (2). Selon l’écrivaine Barbara Polla (citée dans le quotidien Libération), le problème, en fait, c’est la débandade. Le retour trop rapide à la mollesse, qui se doit d’être symboliquement compensé. Des copies phalliques « symboles de grande vie, bien sûr. [D’]érection durable, qui ne saurait s’écrouler […] et qui plus est, visible : que le monde entier la voie et puisse l’admirer, au siècle des siècles, amen. L’architecture aura été, de tout temps, pour les hommes, l’une des grandes consolatrices de la détumescence et de la mort », écrit-elle dans Eloge de l’érection (éditions La Muette).
« Homme » serait ici à comprendre au sens « d’humain ». Mais, bon, comme mentionné ci-dessus, ce sont rarement les femmes qui conçoivent, ni même construisent, des édifices. Dommage. Si les clitoris (qui, juste pour info, sont eux aussi capables de gonfler et de durcir) étaient visibles à tous les coins de rue, peut-être certains auraient moins de mal à les identifier sur les corps féminins.
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(1) Chiffres de l’Ordre des architectes francophone et germanophone.
(2) Ceux qui peuvent actuellement se vanter sont Adrian Smith et Gordon Gill, les concepteurs de la Jeddah Tower en Arabie saoudite: un kilomètre de trique architecturale.
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