Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi les victimes d’emprise psychologique sont majoritairement des femmes

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Avec le nouveau film de Virginie Efira, la thématique de l’emprise psychologique refait surface. Un phénomène qui touche majoritairement les femmes. Et ce n’est pas un hasard.

Un jour, une personne bien intentionnée lui avait lancé: «Franchement, les gens te regardent à la télé gratuitement ; je ne pense pas qu’ils payeront pour te voir.» Ah, la clairvoyance! Non seulement la présence de Virginie Efira en tête d’affiche fait s’écouler les tickets comme des boules de vanille sur une plage en juillet, mais ses films sont devenus aussi les chouchous des critiques ciné.

«Grand film», «brillant», «perfection», «magistral», écrivait ainsi récemment notre confrère de Focus dans sa critique de L’Amour et les forêts, long métrage dans lequel la Belge-pour-qui-personne-ne-débourserait-un-euro incarne une femme sous l’emprise de son conjoint, sorte d’homme parfait devenu bourreau. «Emprise», nom féminin: «Effets d’anéantissement et de dépersonnalisation, de destruction des autres liens sociaux, de dévitalisation du corps, de sidération de la faculté de sentir, de penser par soi-même», définit l’anthropologue belge Pascale Jamoulle (UMons, UCLouvain) dans son livre Je n’existais plus. Les mondes de l’emprise et de la déprise (La Découverte, 2021).

Les victimes d’emprise seraient majoritairement des femmes, à plus de 80%.

Un phénomène dont les victimes seraient, selon elle, très majoritairement des femmes. A plus de 80%, dans les sphères familiale et conjugale. Voilà déjà les masculinistes qui ricanent: pourtant ce ne serait pas ce qui manque, des perverses narcissiques, des émasculatrices, nées pour castrer la moitié phallique de la société !

Peut-être. Mais, selon Pascale Jamoulle, que les femmes se retrouvent plus souvent que les hommes enserrées dans cette toile vicieuse ne s’expliquerait pas uniquement par la rencontre avec un «abuseur». Cette étape constitue certes un «nœud», mais d’autres façonnent ce filet de l’emprise. Comme, d’abord, «les vulnérabilités liées à [un] parcours et à [un] contexte de vie, […] une socialisation genrée».

L’anthropologue a constaté un point commun entre toutes les Clara, Ada, Iris et Jody qu’elle a rencontrées durant les sept années nécessaires à la préparation de son ouvrage: des vulnérabilités liées à l’enfance. Soit sous la forme d’une éducation patriarcale trop protectrice, sorte de cage dorée malfaisante. Soit sous celle de violences, parfois de type incestueux, qui annihilent l’estime de soi et empêchent la construction de soi en tant que personne à part entière. «Ce don entier de soi, qu’on reçoit dans les modèles de genre, avec l’exemple du prince charmant à qui on doit se donner tout entière, fragilisera beaucoup plus les femmes», ajoute-t-elle dans Libération. Là où les hommes seraient plus vulnérables dans la sphère socioprofessionnelle, «là où les enjeux sont essentiels pour eux».

Fichu «care», cette aptitude, inculquée aux gamines dès leur plus jeune âge, de devoir plaire et prendre soin, à se faire petites pour être davantage appréciées, de n’être valorisées que par leur capacité à la gentillesse… «Cette soumission à la volonté et à l’autorité d’autrui, une autorité qu’on estime bien supérieure à la sienne, [c’est] ce que les modèles du patriarcat transmettent», dixit Pascale Jamoulle.

Il ne suffit donc pas d’un pervers narcissique: pour que l’emprise s’empêtre, le terreau éducationnel doit avoir été longuement préparé. La société inégalitaire permettra ensuite son enracinement: infériorisation économique, systémisation des violences, absence de considération policière en cas de plainte… L’emprise, définitivement un nom féminin.

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