Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Quand les femmes se sentent toujours coupables, pour tout
Culpabilité et intimité, si intimement liées: les femmes ont tendance à se sentir coupables, pour tout, tout le temps.
«Le tampon, c’est la cigarette du vagin.» La vidéo continue comme ça pendant une bonne minute, la marque débitant tous les arguments censés convaincre les utilisatrices de passer aux culottes menstruelles. Des serviettes pas si hygiéniques, des saloperies nichées dans le coton, 2.275 déchets évitables en cinq à sept ans d’utilisation…
Surtout, bien fort appuyer sur le sentiment de culpabilité! M’enfin, mesdames, c’est n’importe quoi, là, c’est pas comme ça qu’il faut faire, honte à vous! Et, évidemment, ces dames opinent, ah oui, pardon, désolées. Comme cette trentenaire qui n’ose même plus opter pour cette solution pour une séance de natation, restant chez elle avec ses ragnagnas. «Parce que c’est vraiment nocif, les tampons, hein.»
Ça fonctionne, ce discours. Forcément: la culpabilité est intrinsèquement liée à la féminité. Etre femme, c’est tellement souvent se sentir coupable. Ca commence très tôt dans l’existence. Peut-être lors des premiers émois sexuels? En ayant tellement intégré qu’une fille bien doit garder les jambes fermées, dire non même si elle a envie de crier oui? «La première nuit qu’on a passée ensemble, raconte cette autre trentenaire, j’ai tenu bon. Il n’a qu’un tout petit peu insisté. Bien sûr que j’avais envie qu’on couche ensemble! Mais je ne voulais pas qu’il me prenne pour une fille facile.»
Coupable de trop apprécier le sexe, coupable de ne pas l’aimer assez. Sans cette honte très fortement inculquée et tenacement ancrée, 40% des heureuses détentrices d’un clitoris se masturberaient probablement un peu plus régulièrement que jamais (1).
Coupable de son propre corps. D’avoir mangé ce carré de chocolat. De ne pas entrer dans cette taille 36. De ne point être hier rachitique comme Kate Moss, aujourd’hui pulpeuse telle Kim Kardashian. De ne pas assez pratiquer de sport (2). De trop vouloir en montrer dans l’espoir d’être appréciée. De fermer jusqu’au dernier bouton. Frigide, va!
Coupable envers les autres. De choisir la péridurale et de ne pas accoucher comme une vraie. De ne pas pouvoir correctement allaiter. De ne pas se révéler une bonne mère, de ne pas réussir à parfaitement jongler entre vies professionnelle, familiale, amicale («Si je ne mets pas ma fille au lit, j’ai l’impression qu’il lui manque quelque chose»). De pester contre la charge mentale, mais de tout de même repasser ses chemises.
M’enfin, c’est pas comme ça qu’il faut faire, honte à vous! Et, évidemment, ces dames opinent.
Coupable de vieillir, de faner, mais de ne pas l’accepter, à grand coup de botox et d’acide hyaluronique.
Et donc, désormais, pour clore cette liste qui pourrait être longue comme une ficelle de tampon, coupable pour la Terre (3). Jusqu’à accabler les bouts de coton utilisés dans l’intimité. Ou la pilule contraceptive, qui finit par contaminer les rivières et rendre les poissons bizarres. Alors qu’un mec se posera peu la question de la pollution engendrée par ses capotes, par exemple (pour autant qu’il en porte). Le latex, au fond, ça va dans les PMC ou dans le tout-venant?
(1) Un sondage sur la vie sexuelle des Belges, en 2023, à l’initiative du Vif, a révélé que 29,4% des femmes ne se masturbaient jamais et 10% moins d’une fois par an, contre respectivement 11,7% et 7,5% des hommes. (2) Une étude de l’Insee, en France, a démontré un écart en matière de pratique sportive, surtout chez les plus jeunes: 50% des femmes âgées de 16 à 24 ans ont déclaré avoir pratiqué au moins une activité physique dans l’année, contre 63% des hommes. (3) Le «Rapport sur l’état de la France» (2023) avait souligné que l’avenir de la planète inquiétait 86% des femmes contre 74% des hommes.Lire aussi | Quelques clés pour cesser de culpabiliser
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici