Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi il faut arrêter avec le mythe de la mère parfaite

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Il s’agit de commencer à s’en ficher. De relâcher la pression, de se contenter d’être une bonne mère, mais pas une parfaite, histoire non seulement de se rendre service, mais également à ses rejetons.

Dix mille heures. C’est, selon une théorie inspirée par le professeur de psychologie Karl Anders Ericsson, le temps nécessaire pour s’entraîner avant de devenir un expert dans n’importe quel domaine. Soit 59 semaines pour parvenir à donner un concert de violoncelle, exercer comme interprète en japonais ou concurrencer Monet.

Corinne Maier, autrice et psychanalyste, a fait le calcul: vingt heures hebdomadaires, en moyenne, consacrées à l’éducation de sa fille, pendant vingt ans. Et vingt mille heures x 1,5 (économies d’échelle obligent) pour son fils. Total: trente mille heures. Au cours de la même période, la Française aurait pu devenir ceinture noire de taekwondo, cheffe étoilée et joueuse d’accordéon professionnelle. Mais non. Elle a juste été maman. Et elle le regrette. Tellement qu’elle vient de publier un livre: #MeFirst! Manifeste pour un égoïsme au féminin (L’Observatoire, 2024, 160 p.).

Le pitch: les meufs, arrêtez. Stop au mythe de la mère parfaite. Celle qui repasse même les chaussettes, est toujours la première à la grille de l’école, conduit sa progéniture aux leçons de chinois puis aux cours d’expression littéraire en passant par le stage «petit fermier». Prépare les boîtes à tartines, bien sûr, avec du choudou en guise de collation saine ; puis tous les repas en veillant à ne guère dépasser d’un milligramme la dose de sucre recommandée par l’OMS. Limite le temps d’écran, lit 32 livres sur l’éducation bienveillante tout en animant un atelier «peinture au doigt» après la crèche. Rêvant de reprendre les cours de yoga le mardi soir mais se refusant ce petit plaisir solitaire par culpabilité: ses mioches ne seront-ils pas marqués à vie si elle ne leur lit pas un Petit Poilu avant de les border?

Le risque est grand de créer de parfaits inadaptés, choqués de ne plus être adulés.

Il faut arrêter le délire, résume en substance Corinne Maier. D’abord parce qu’à force de couver ces gnomes comme s’ils étaient sortis de la cuisse de Jupiter, le risque est grand de créer, une fois la majorité atteinte, de parfaits inadaptés sociaux, choqués de ne plus être perpétuellement adulés, brutalement confrontés à leur absolue banalité.

Il s’agit ensuite de survie mentale, poursuit la psychanalyste. Citant Benoîte Groult (dans Mon évasion, Grasset, 2008): «L’égoïsme, c’est la santé! Il est condamné chez les femmes justement parce qu’il leur serait tellement nécessaire. […] Tout à coup […], elles refusent le rôle qu’on a construit pour elles. Ah oui! L’égoïsme est une vertu de délivrance.»

Délivrance face à l’amour, «qui n’est qu’une occupation dans la vie d’un homme tandis qu’il est la vie même de la femme» (Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe). Une illusion qui les «pousse à se mettre au service du bien-être des autres au détriment du leur», écrit Corinne Maieur. Et puisque le travail n’a guère été émancipateur à cet égard (c’était l’espoir de de Beauvoir), la psychanalyste préconise l’égoïsme comme «responsabilité de soi»: soit la «condition pour s’affirmer, pour chercher sa liberté, [permettant] de vivre avec les autres sans les accaparer, en leur reconnaissant le même droit essentiel: vivre pour soi».

En d’autres termes, chères mères: il s’agit de commencer à s’en ficher. De relâcher la pression, de se contenter d’être une bonne maman, mais pas une parfaite, histoire non seulement de se rendre service, mais également à ses rejetons. Puis à la société aussi, tiens, qui n’aura pas, dans quelques décennies, à se coltiner cette génération d’inadaptés sociaux. D’avance, merci!

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