Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Où sont passés les tétons ? Le topless, cette tradition en perdition (chronique)
Les étés passent et le topless… aussi. Selon une récente étude française, de moins en moins de femmes font tomber le haut sur les plages. Par pudeur et crainte des agressions. Paradoxal, alors que l’un des combats féministes est justement de parvenir à désérotiser la poitrine.
Où sont passés les tétons? Ceux qui, libérés délivrés de leur polyamide, se laissaient caresser par la brise légère, les rayons UV, les grains de sable et le sel marin? Bon, cet été, la météo automnale les a plutôt contraints à se pelotonner dans la laine, mais même: force est de constater que les mamelons sont retournés se planquer dans les bikinis. Une étude de l’institut d’opinion publique français Ifop, publiée le 30 août et réalisée auprès de 1 075 femmes, montre que seules 20% d’entre elles ont déjà pratiqué le topless. Une statistique en recul de deux points depuis 2019. Et une dégringolade par rapport à 1984, où elles étaient encore 43%.
49% ont déclaré avoir fait l’objet d’une forme de harcèlement sexuel à la plage.
La conscience sanitaire a eu raison de l’inconscience des poitrails: 53% des «non-pratiquantes» expliquent garder le haut en raison des risques engendrés par l’exposition au soleil pour la peau – attrape-t-on un cancer plus facilement par le mamelon? Les aînées, qui avaient tombé le haut dans les années 1970, semblent plus réticentes à le remettre. A la différence des jeunes, désormais plus prudes. Apparemment en raison de la pression sexuelle. A commencer par la crainte de voir une photo de leurs seins nus circuler sur les réseaux sociaux, pour 36% d’entre elles (et même 51% chez les moins de 30 ans). 35% avancent également les regards masculins concupiscents, tandis que 31% redoutent une agression sexuelle (un résultat en hausse de quatre points par rapport à 2019).
Il faut dire que, selon ce même sondage, 49% des répondantes ont déclaré avoir déjà fait l’objet d’une forme de harcèlement sexuel à la plage. En particulier les jeunes de moins de 30 ans (65%) et celles… pratiquant le topless (64%). «Signe de l’hypersexualisation qui pèse encore très largement sur le corps des femmes», commente l’Ifop.
Bye bye, nibards sans soutard. Pensée émue pour les féministes qui, dès les années 1960, bronzaient torse nu pour s’affirmer égales des hommes, ainsi que pour le styliste (gay) Rudi Gernreich, inventeur du monokini (à l’époque, une culotte haute tenue par deux bretelles), qui souhaitait «concevoir des vêtements pour les femmes modernes et sexuellement libérées».
Malgré les mouvements « Free the Nipple», malgré les appels au no bra, malgré les Femen, malgré les piscines berlinoises qui autorisent les nageuses à faire des longueurs sans haut, les nénés ne parviennent pas à se départir de cette érotisation qui les entoure. Qui n’est pas universelle: certaines tribus dites «primitives» ne cachent guère les poitrines, sans que cela ne chatouille le bas-ventre des hommes qui y vivent.
Comme le raconte la sociologue et philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans son ouvrage Seins. En quête d’une libération (Anamosa, 2020), la poitrine féminine a toujours été tiraillée entre deux visions: la nourricière et la sexuelle. La bonne et la mauvaise. La seconde n’a pris le dessus qu’à partir de la Renaissance. Avec un tournant dès le XIVe siècle, lorsque les longues tuniques laissent la place (pour les deux sexes) aux corsages. Qui se mettent à dévoiler non pas tant les seins que les décolletés. L’érotisation était en marche.
Et ne fait toujours pas marche arrière! Le 23 août, Marina, une Française qui avait ôté son tee-shirt lors d’un festival de rue à Aurillac, «en raison de la chaleur» et parce qu’elle était entourée d’hommes torse nu, a été verbalisée pour exhibition sexuelle. Trois jours plus tard, une manifestation était organisée devant le tribunal, pour protester contre son interpellation. Il est peut-être là, le changement.
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