Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Moins d’argent de poche pour les filles (ou comment les inégalités débutent dès l’enfance)
Les filles recevraient moins d’argent de poche que les garçons, selon plusieurs études. Ce qui influence le rapport à l’argent et ancre les femmes en position de « demandeuses » plutôt que de gestionnaires.
Il fallait la voir le sortir de son porte-monnaie, ce billet de dix, pour s’offrir une partie de lancer de balles à la foire de Liège. Ravie comme si elle avait dû se défaire de son dernier euro au Monopoly. Louise, 11 ans, n’aime pas trop dépenser, sauf dans l’espoir de gagner une peluche. Elle préfère économiser toutes les dringuelles que ses grands-parents lui glissent dans la main chaque semaine. Genre dix euros hebdomadaires.
Combien aurait-elle reçu si elle s’était plutôt appelée Louis? Quinze? Vingt? Plus, apparemment: les études se suivent et l’affirment. Une première, réalisée outre-Manche en 2017 auprès de deux mille enfants âgés de 5 à 16 ans: les little Anglais recevaient 25% d’argent de poche supplémentaire (et même jusqu’à 42%, entre 11 et 16 ans). Une deuxième, cette fois outre-Quiévrain, en 2020, réitérée en mars dernier: les petites Françaises encaissent 4 euros de moins chaque mois, soit 48 euros de différence en un an. Y a pas d’âge, pour la discrimination. Le pire, c’est que selon l’étude anglaise, les gamines sont davantage satisfaites de ce qu’on leur donne, alors que les gamins voudraient plus. Et, selon l’étude française, même avec moins, elles économisent plus. Pourquoi leur donner la même chose, du coup?
Pendant que les garçons pourront s’exercer à gérer un budget, les filles seront en position de demandeuses.
Dieu sait pourtant que son papy et sa nanny la chérissent, Louise. Mille lingots d’or auraient moins de valeur à leurs yeux. «Ce n’est pas que les (grands-)parents aiment plus leur garçon que leur fille, rassure la journaliste française Titiou Lecoq, autrice du très récent Le Couple et l’argent: pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes (L’Iconoclaste, 284 p.). In fine, ils vont même sans doute leur donner les mêmes montants… mais différemment.»
Soit, selon elle, en offrant: ce bic lumineux, cette jupe trop stylée, ce livre génial… A Louis les euros, à Louise les cadeaux (sous lesquels elle croule, effectivement). Et toutes les inégalités s’en trouvent ainsi comblées? Du moins sur papier. «Le problème, estime Titiou Lecoq, c’est que cela crée un rapport très genré à l’argent. Pendant que les garçons pourront s’exercer à gérer un budget, les filles seront en position de demandeuses.»
Et de charmeuses. Confer la fameuse méthode des yeux doux (tous les gosses y excellent, qu’importe leur sexe). Pour Titiou Lecoq, la leçon qu’une fillette en retire, «plus ou moins consciemment, c’est qu’elle ne peut pas obtenir directement ce qu’elle veut. Il existe un intermédiaire entre elle et la chose désirée, et elle doit séduire cet intermédiaire. Elle dépend donc du bon vouloir d’une autre personne qu’elle.»
Ou comment inculquer, même inconsciemment, cette dépendance qui, souvent, ne quittera plus les femmes tout au long de leur existence: dépendance financière parce qu’il fallait bien prendre un temps partiel pour s’occuper du bébé (et parce que l’écart salarial, le plafond de verre, le statut de cohabitant, tout ça tout ça), dépendance affective parce que la société n’aime pas ces femmes célibataires (ces vieilles sorcières), dépendance familiale car il n’est guère de bon ton de ne point mettre sa progéniture au centre de sa vie, dépendance aux diètes et aux régimes parce que leur corps sera de toute façon toujours imparfait, dépendance aux crèmes soins cires poudres gels masques injections parce qu’il ne faudrait pas laisser ce corps vieillir sans tenter de l’en empêcher. Rien que ça, le coût de la féminité, ça mériterait une indexation. Dès l’argent de poche.
Des féminicides enfin recensés
Un crime tous les douze jours ces cinq dernières années. Au moins. Car les 172 décès de femmes causés par des hommes et enregistrés entre 2018 et 2022 n’étaient jusqu’ici recensés que par le blog Stop Féminicide, sur la base d’articles de presse. Cela devrait changer: le 28 octobre, la Belgique a adopté une loi-cadre définissant ce type d’homicide et prévoyant un recensement précis. Une première en Europe, selon Sarah Schlitz (Ecolo), secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres.
51 853
mères ont souscrit un congé parental, en 2021, selon les derniers chiffres de l’Onem. Contre 27 155 pères. Laura Merla, sociologue, explique sur levif.be que les papas ne sollicitent en général un allègement de carrière que vers les 7 ou 8 ans de l’enfant, soit lorsque les mamans ont déjà épuisé toutes les options légales. «En Belgique, conclut-elle, ce sont [donc] les femmes qui se chargent de la plus grosse part de l’éducation des enfants.» Sans surprise.
IVG après un viol de guerre? Pas en Pologne
Depuis le 1er mars, selon le collectif Avortement sans frontières, 1 515 Ukrainiennes auraient sollicité une IVG. Parmi elles, beaucoup ont trouvé refuge en Pologne, pays qui applique depuis 2021 une politique hyperconservatrice en la matière. Possible, en théorie, en cas de viol et d’inceste, elle est quasi impossible à obtenir en pratique, en raison du long parcours «administratif» imposé et de la clause de conscience que peuvent invoquer les médecins. Même après un viol de guerre, les réfugiées ukrainiennes vivant en Pologne n’ont pas accès à l’avortement…
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