Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Les prisonnières, ou comment les stéréotypes de genre s’immiscent derrière les barreaux

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

En Belgique, 4,5% des détenus sont en fait des prisonnières. Ce peu de femmes derrières les barreaux conduit à un désintérêt et à une méconnaissance de leurs besoins spécifiques.

Hommes: 10 614. Femmes: 502, soit 4,5% de la population carcérale belge (1). S’il n’y avait que des prisonnières, l’Etat fédéral ferait de sacrées économies (coucou, le coût de la masculinité!). Et s’il y avait moins de criminels, peut-être y aurait-il également moins de détenues: une étude menée à la prison de Lantin a montré que plus de 50% d’entre elles avaient été en couple avec un conjoint au passé judiciaire et que la même proportion avait commis les faits avec leur partenaire. C’est beau, l’amour.

Mais bref: 95,5% d’occupants dans les prisons, donc. A force de prendre toute la place, l’attention publique, politique et scientifique a perdu de vue les 4,5% restantes, selon la députée fédérale Claire Hugon (Ecolo), qui vient de déposer, à la Chambre, une proposition de résolution «visant l’amélioration de la connaissance et de la prise en charge des besoins spécifiques des femmes en milieu pénitentiaire».

Parce que le genre s’immisce aussi derrière les barreaux. Un exemple: puisqu’elles ne peuvent être incarcérées que dans les neufs établissements (sur 33) dotés d’un quartier qui leur est réservé, les femmes se retrouvent souvent enfermées loin de leur lieu de résidence, ce qui complique la visite de proches. De plus, leur conjoint est rarement du genre à apporter des oranges: «Elles sont moins soutenues et moins visitées», épingle la députée. Bah oui, le «care», c’est pas très masculin… Par conséquent, bye, bye, les visites conjugales. «La possibilité de vivre leur sexualité en prison est plus compliquée pour elles.» Mais bon, déjà que la jouissance féminine dans le monde libre intéresse fort peu, qui va se soucier de l’épanouissement derrière les barreaux?

S’il n’y avait que des criminelles, le fédéral ferait de sacrées économies.

Accessoirement, les condamnées «seraient souvent incarcérées dans des prisons au niveau de sécurité trop élevé par rapport à ce qui est nécessaire», écrit Claire Hugon. Qui, faute de données noir-jaune-rouge (c’est précisément ce qu’elle réclame), a épluché les études internationales et en a ressorti quelques constats: la toxicomanie et la dépendance sont davantage observées chez les femmes, tout comme les risques d’automutilation. Les détenues feraient aussi l’objet de mesures disciplinaires plus sévères et d’une surveillance plus serrée. Parce que l’insubordination féminine dérange ou parce qu’elle est plus aisée à mater?

Prière d’être braves. Et de continuer à s’adonner aux travaux de couture, de coiffure ou d’intendance ; soit les stéréotypes – pardon, les activités – qui leur sont principalement proposées, selon une étude des Femmes prévoyantes socialistes, en 2014. «Le monde carcéral n’est pas isolé de la société mais est en interactions constantes avec elle et en reproduit ainsi les stéréotypes sexués», écrit la chercheuse française Corinne Rostaing dans son analyse «L’invisibilisation des femmes dans les recherches sur la prison».

En mars dernier, les journaux de Sudinfo faisaient état de l’histoire de Pascal V., gardien de prison accusé de viols par deux détenues. L’analyse ADN avait prouvé qu’il était bien le père de l’enfant de l’une des deux. La justice liégeoise avait toutefois classé l’affaire, faute de preuves. Son employeur, par contre, avait pris des mesures, puisque entrer en contact avec un détenu hors d’un cadre professionnel est interdit: mutation dans une autre institution et amputation de son salaire durant six mois. De 5%. Le monde carcéral n’est décidément pas isolé de la société.

(1) Source: SPF Justice, janvier 2022.

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