Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Les féministes doivent-elles s’inquiéter d’aimer la fessée ?
Pratique largement répandue lors des ébats amoureux, la fessée ne manque pas de questionner. Pourquoi est-ce une prérogative masculine ? Les féministes, parfaitement conscientes du caractère dégradant du geste, doivent-elles rougir si ça les excite ?
Un dimanche. La côte belge. Sur la digue, un couple s’embrasse. Pas une galoche, hein (c’est à Blankenberge, mais quand même). Juste un long bisou langoureux. C’est mignon, c’est romantique… jusqu’à ce que le mec claque une fessée sur le séant de sa compagne avant de la lui palper avec avidité. Une bonne petite tapette de propriétaire, façon «c’est bien, brave bête, gentille femelle».
Encore un accro au porno? Bien que les hommes n’aient pas attendu de s’abreuver à YouPorn pour être fascinés par le panpan cucul. «“Thérèse, me dit-il, vous allez cruellement souffrir.” […] Il me retourne, me fait agenouiller sur le bord d’une chaise dont mes mains doivent tenir le dossier. “Tiens-toi bien, coquine”, me dit-il. “Tu vas être traitée comme la dernière des misérables”», écrivait le marquis de Sade dans Justine ou les malheurs de a vertu, en 1791.
Que les adeptes des Cinquante nuances de Grey restent calmes: point question ici de fustiger celles et ceux qu’une tapette (voire plus) excite. Mais de s’interroger sur le geste, sa symbolique. Déjà, force est de constater que seules les fesses sont concernées par cet éclat de violence. A cause de leur «forte charge érotique», avançait la sexologue Zoé Blanc-Scuderi sur le site Slate, en janvier dernier. Certes, mais les seins aussi, et nul (?) n’aurait l’idée de les cogner durant le coït. Ça ferait sans doute moins «animal». Moins dégradant.
Le patriarcat s’invite sous la couette des femmes de très nombreuses façons.
Ensuite (et que les lectrices écrivent massivement à la rédaction du Vif si l’affirmation qui suit leur semble erronée), la pratique de la claquette semble une prérogative largement masculine. Oh, bien sûr, mesdames peuvent châtier un déculotté. Mais alors à la demande de l’intéressé ; cela s’appelle du BDSM. Plus rarement d’initiative (mmmh, ouiii, oooh, prends ça mon vilain), à la différence de ces messieurs qui, même lors d’un premier rapport, sans rien connaître des préférences de leur partenaire et, bien sûr, sans le leur demander, se croient autorisés à lui taper la croupe. Ils aiment, ils veulent, ils font.
«Le patriarcat s’invite sous la couette des femmes de très nombreuses façons», écrit la militante Dora Moutot dans son ouvrage Mâle baisées (éditions Guy Trédaniel). La fessée est l’une d’entre elles. La traduction gestuelle du fait «qu’apparemment, c’est forcément l’homme qui baise la femme, ajoute-t-elle. Donc le sexe, selon cette logique, est quelque chose que les hommes font aux femmes». Et pas toujours hyperbien… «Un va-et-vient après un cunnilingus bâclé», résumait cet été Ovidie, autrice du récent La Chair est triste hélas (éd. Julliard), dans une interview accordée au Vif Weekend, le 29 juin.
Dans laquelle elle enchaînait: «Déjà qu’“avant”, ce n’était pas drôle de devoir subir un rapport vaginal dans le cadre de ce qu’on appelait autrefois le devoir conjugal… Mais maintenant, il y a l’idée que cela ne suffit plus, il faut se prendre des gifles, une fessée, se faire sodomiser, étrangler… Ces vingt dernières années, des pratiques qui étaient réservées à un milieu BDSM, avec ses codes et ses rapports presque contractuels, sont aujourd’hui entrées dans la sexualité hétéro. C’est questionnant.»
Comme se questionnent aussi celles qui, bien que féministes convaincues, parfaitement conscientes du caractère symboliquement dégradant d’une claque sur la hanche, frissonnent de plaisir en en recevant une. Un peu comme les écolos qui partent en vacances à l’Ile Maurice. Ou les intellos qui s’enjaillent sur du Michel Sardou. C’est pas grave, les filles: la vie est pleine de contradictions.
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