Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Les chasseurs de mammouths étaient aussi des femmes (pourquoi est-ce dérangeant?)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Plusieurs études récentes démontrent qu’à la Préhistoire, l’humain était moins genré qu’on l’imagine. Les femmes chassaient également. Et si beaucoup rechignent à accepter ces informations, c’est parce qu’elles remettent en cause les supposés fondements «naturels» du patriarcat.

Les Suédois l’appellent Birka, du nom de la ville de son ensevelissement. Une tombe de premier rang: hache, lances, flèches, couteau, boucliers et deux chevaux entourant la dépouille. Probablement la crème de la crème des guerriers vikings, pensèrent les archéologues en découvrant la sépulture en 1878. Sauf que Birka était… une guerrière. Des analyses ADN et ostéologiques le prouvèrent en 2017, mais certains scientifiques continuent de ronchonner. Impossible, grincent-ils. Les os avaient dû, à l’époque, être mal étiquetés, ou mélangés à ceux d’autres squelettes enterrés aux alentours (l’archéologie du XIXe siècle manquait sans doute de dames pour faire correctement le ménage).

Sauf qu’en 2020, des universitaires américains ont révélé que plus de 40% des tombeaux préhistoriques où des objets de chasse au gros gibier furent retrouvés, de l’Alaska à l’Argentine, étaient en réalité des sépultures féminines. «Mais […] certain-x-es archéologues ont une curieuse tendance à conclure qu’il y a erreur sur la détermination du genre, ou que les armes sont en réalité des ustensiles de cuisine», écrit la physicienne suisse et journaliste scientifique Lucia Sillig dans son tout récent ouvrage Game ovaire. Pour en finir avec les arguments scientifiques sexistes et périmés.

Tant pis si une étude, publiée en 2023 dans la renommée revue Plos One, révèle que dans 80% des sociétés vivant toujours de la chasse et de la cueillette les femmes manient aussi la lance (où n’importe quel outil servant à abattre leur future barbaque). Non, vraiment, imaginer que les scientifiques aient pu interpréter leurs découvertes en y appliquant les biais genrés de leur époque, mais enfin, quelle audace! Quel postulat fantaisiste!

Puisque le mâle préhistorique chassait le mammouth pendant que bobonne patientait à la grotte, qu’elle reste aujourd’hui bien cantonnée au foyer.

S’il est apparemment si difficile d’admettre que les chasseurs-cueilleurs n’étaient finalement pas nécessairement des chasseurs-cueilleuses, c’est probablement parce que cette prétendue division ancestrale du travail est censée rabattre le caquet de toutes les péronnelles qui osent se piquer de discours égalitaires. Puisque le mâle préhistorique chassait le mammouth pendant que bobonne patientait à la grotte, qu’elle reste aujourd’hui bien cantonnée au foyer.

Tout cela serait donc de l’inné (c’est-à-dire du naturel, du vrai, de l’immuable) et non de l’acquis (sous-entendu du construit, de l’artificiel, du modifiable). «Les arguments biologiques sont souvent dégainés pour repousser les revendications d’égalité et renvoyer tout le monde à la niche», résume Lucia Sillig. Qui cite, dans son livre, la préhistorienne Marylène Patou-Mathis: «La science préhistorique sonde les profondeurs du temps, là où le patriarcat est censé trouver sa justification originelle. Sauf que plus on en sait, moins on lui trouve de justification.»

Or, si les Néanderthaliens étaient plus dégenrés qu’imaginé, elles s’enracinent où, les inégalités? Quelque part vers le Néolithique, avance Lucia Sillig. Soit avec l’apparition de la sédentarité, de l’accumulation des richesses et de l’explosion de la natalité qui s’en sont suivies. «D’après ce que racontent les sépultures, c’est à ce moment-là que les différences de traitement entre les sexes ont commencé à se creuser.» Bouger, c’était bon pour l’égalité.

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