Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Le cunnilingus crève désormais l’écran (et voici pourquoi c’est une bonne nouvelle)
Il y a à peine dix ans, une scène de cunnilingus au cinéma, même suggérée, pouvait choquer. Désormais, cette orale pratique est très récurrente, aussi bien dans les films que les séries. Une bonne chose pour les représentations de la sexualité.
Que les cinéphiles avertis pardonnent les éventuelles prochaines imprécisions, mais cette scène est racontée de mémoire, et ce film date de déjà dix ans. Quelque part au début de Gone Girl, de David Fincher, Nick (incarné par Ben Affleck) glisse sa tête entre les jambes de sa future femme, Amy (Rosamund Pike) et… voilà, quoi. Un peu plus loin dans le long métrage, l’heureuse épouse raconte ses émois à une copine, qui lui réplique – presque ahurie – quelque chose comme «quoi, direct, comme ça? Incroyable!», comme si le «gratificateur» avait inventé une pratique aussi inouïe qu’inédite.
On parie qu’il y a dix ans, c’est la maîtresse qui aurait été à genoux?
Inédite dans les salles (les salles grand public, s’entend), cet art lingual l’était à l’époque assurément: ces brèves minutes cinématographiques avaient fait couler autant d’encre aux Etats-Unis que n’importe quelle frasque de Donald Trump. Car ces choses, dans le septième art, ne pouvaient habituellement être ni évoquées ni suggérées, sous peine d’obtenir une classification «interdit au moins de 17 ans» (le NC-17, en américain). Plusieurs productions en avaient fait les frais, comme Blue Valentine (2010), l’acteur principal, Ryan Gosling, s’insurgeant dans la foulée que lorsque les scènes de sexe oral sont pratiquées par des femmes sur des hommes, les censeurs ne trouvent rien à y redire. Entre 2000 et 2019, un chercheur français – Benjamin Campion – avait passé son temps professionnel à analyser les scènes de sexe dans les (dizaines de) séries HBO. Seules huit mettaient en scène un cunnilingus, soit moitié moins que la fellation.
Inédit, désormais le «cunni» ne l’est plus du tout, sur grands comme petits écrans. Même la plus moyenne des séries ne peut s’empêcher un petit coup de langue. Comme dans la belge Knokke Off, pour ne citer qu’un exemple plus ou moins récent: le jeune héros tourmenté Alexander espionne son infidèle de père par le trou d’une serrure et découvre celui-ci en train de s’activer entre les jambes d’une dame qui n’est pas sa mère. On parie qu’il y a dix ans, c’est la maîtresse qui aurait été à genoux?
Sans doute les réalisateurs veulent-ils ainsi démontrer leur coolitude et leur progressisme. «Regardez comme je suis féministe!» Quitte à ce que ce ne soit, au fond, qu’un moyen gratuit d’exciter dans les chaumières.
Mais qu’importe: c’est bon. Vraiment bon. Pour la société (bande d’esprits mal tournés!): le cinéma, la télé plantent dans les cerveaux les graines de représentations qui finissent par constituer des toiles de fond dans le réel. «Ce que nous normalisons à l’écran, nous le normalisons dans la vie», pour reprendre le titre de l’un des chapitres du récent ouvrage de Chloé Thibaud, Désirer la violence. Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer (Les Insolentes, 224 p.). Un livre dans lequel la journaliste épingle les très nombreux films qui ont permis de populariser la soumission sexuelle féminine: le cliché du baiser volé (L’Auberge espagnole), l’homme qui insiste malgré de multiples refus et la femme qui finit par céder (Indiana Jones), la culture du viol (Grease)…
Alors bon, un mec qui s’active entre une paire de cuisses, avec toute la symbolique d’inversion des rôles que ça engendre, oui, ouiii, ouiiiiiiiiii. Un jour, peut-être, le 69 deviendra hyperpopulaire sur les écrans, et ce sera alors la traduction visuelle d’un immense bon vers la parité. Pas de dominée, pas de dominant, juste un échange. Le sexe, comme il devrait l’être.
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