Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | La « théorie économique du sexe », ou pourquoi les femmes blâmeraient celles qui couchent trop

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Un homme qui multiplie les conquêtes sera vu comme un tombeur. Une femme qui fait pareil: une salope. Pour justifier cette différence, le patriarcat est souvent pointé du doigt. Mais la « théorie économique du sexe » pointe un autre coupable: les femmes elles-mêmes. Explications.

Trois dollars septante la boîte de dix, soit 37 centimes la dose de faux sang, à placer dans le vagin. Si cela se vend (notamment sur un site chinois d’e-commerce bien connu), c’est probablement que ça s’achète et, par conséquent, qu’un certain nombre de femmes éprouvent le besoin de faire croire, “ la ” nuit venue, à une virginité depuis longtemps disparue.

Coucher trop tôt, ou trop tout court : voilà qui continue de faire mauvais genre, du moins pour la gent féminine. Cf. le fa(fu)meux paradoxe du Casanova : celui qui enchaîne les conquêtes sera un tombeur, celle qui fait de même sera reléguée au rang de traînée. Une divergence qui transparaît même dans les chiffres : selon des études européennes sur la sexualité, les hommes déclarent, en moyenne, dix partenaires sexuels au cours de leur vie, contre quatre pour les femmes (un nombre toutefois en augmentation ces dernières années). Mais comme l’expliquait au Vif, en mars 2023, le professeur et sociologue de la famille Jacques Marquet (UCLouvain), ces données déclaratives sont probablement exagérées pour les premiers et sous-estimées pour les secondes. Faudrait pas que la cuisse semble trop légère.

La théorie économique du sexe : la loi de l’offre et de la demande

Qui blâme celles qui se coucheraient un peu trop là ? Le patriarcat est très souvent pointé du doigt. Mais peut-être a-t-il été accusé à tort : telle est, en tout cas, la théorie des psychologues américains Roy Baumeister et Kathleen Vohs, développée dans leur article (controversé) : « Sexual Economics: Sex as Female Resource for Social Exchange in Heterosexual Interactions » (qu’on pourrait traduire par « La théorie économique du sexe : le sexe comme moyen d’échange social à la disposition des femmes dans les interactions hétérosexuelles). Leur thèse : l’amour et la séduction n’existent pas, ou pas vraiment, et ne sont que des cache-sexes masquant une réalité peu reluisante, à savoir la « nature transactionnelle » régissant les relations interpersonnelles. Comme dans le secteur de l’énergie ou des denrées alimentaires, l’offre et la demande dicteraient les mécanismes de drague.

Du côté de l’offre : ces dames, qui vendraient l’accès à la sexualité (Baumeister et Vohs postulent que leurs besoins en la matière seraient moindres que ceux de leurs congénères mâles, ce qui pourrait sérieusement être contesté, ou nuancé : si elles jouissaient davantage, sans doute leurs besoins deviendraient-ils plus impérieux).

Du côté de la demande : ces messieurs, qui achèteraient la « marchandise » au moyen de ressources non sexuelles. Soit un « large éventail de biens et de valeurs », selon les deux auteurs. « En échange de sexe, écrivent-ils, les femmes peuvent se procurer de l’amour, de l’engagement, du respect, de l’attention, de la protection, des faveurs matérielles, des opportunités, des diplômes ou des promotions, ainsi que de l’argent. […] La question n’est pas de savoir si on approuve ou non cet échange. Le fait essentiel est plutôt que cette possibilité existe quasi exclusivement pour les femmes. Les hommes ne peuvent généralement pas se procurer d’autres avantages en échange de sexe. »

Ainsi, dans ce marché de l’ « amour », certes moins reluisant vu sous cet angle, le cause du slut-shaming ne serait en rien masculine, mais bien féminine : les femmes réprouveraient leurs semblables aux mœurs supposées trop légères, histoire de punir ces « salopes » de faire globalement baisser leur valeur sur le marché.

Et s’il y avait là un fond d’inconsciente vérité ?

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