Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | La « soumission chimique », ou quand un proche drogue pour mieux violer
Cela s’appelle « la soumission chimique » et ce serait plus répandu qu’imaginé: un peu de drogue dans un verre pour mieux violer quelqu’un. Mais pas seulement en soirée: aussi dans la sphère familiale.
Où sont passées les seringues ? Celles qui piquaient à tout-va, dans les fêtes et festivals, l’été dernier ? Disparues, sans qu’un auteur éventuel, nulle part, n’ait jamais été identifié. Il était bien commode, ce mystère. Il cochait toutes les habituelles cases de la psychose collective : des vilains pervers (personne ne les avait jamais vus mais tout le monde les imaginait masculins) qui zonaient à la recherche d’innocentes victimes (supposément principalement féminines). Raison de plus pour alimenter le mythe du prédateur tapi dans une ruelle sombre, prêt à bondir, frapper, violer.
Certains inconnus bondissent, frappent, violent, bien sûr. Mais – désolée de radoter – dans 90 % des cas, les victimes connaissent leur agresseur. Un ami. Un ex. Un rencard. Un cousin. Un père. Plutôt que d’être éduquées à coup de « Fais bien gaffe à ton verre quand tu sors », les filles devraient plutôt entendre « Méfie-toi de l’oncle Robert », en fait. Y compris pour vérifier qu’il ne glisse pas une saloperie dans leur cacao ou leur thé.
« Soumission chimique d’un proche », ça s’appelle. En France, la campagne #MendorsPas vient d’être lancée pour sensibiliser à ce risque « beaucoup plus banal et fréquent qu’on ne le croit », estime la gynécologue Ghada Hatem-Gantzer sur le site 20 minutes. Même si « personne n’imagine que dans la sphère intime, familiale, on puisse être maltraité ou abusé chimiquement ».
Caroline Darian ne l’aurait jamais cru possible non plus. Certes, elle voyait sa mère maigrir, perdre ses cheveux, se plaindre de trous de mémoire, somnoler en permanence. Les nombreux médecins consultés n’y comprenaient rien. Seul son mari savait.
Savait qu’il avait ouvert un forum de discussion baptisé «A son insu», sur un site de rencontre libertin. Savait qu’il y postait des photos et vidéos de son épouse. Dénudée. Endormie. Violée. Savait qu’il diluait des anxiolytiques et des somnifères dans son verre d’eau, son repas, son jus d’orange du matin. Savait qu’il invitait ensuite des types, chez eux, dans le Vaucluse. Agés de 22 à 71 ans. «Certains travaillent, ont parfois des postes à responsabilités. Ce sont des pères de famille, des grands-pères. Des gens […] d’apparence tout à fait normale. Que vous inviteriez bien volontiers à table. Comme mon père», raconte Caroline Darian dans l’émission Sept à huit. Mais qui venaient pilonner sa maman. Sur les vidéos, parfois, on l’entendait ronfler.
La «soumission chimique d’un proche» est «beaucoup plus fréquente» qu’on ne le croit.
«J’ai compris que je ne connaissais pas l’homme qui m’a élevée», confiait Caroline Darian, qui a écrit un livre, Et j’ai cessé de t’appeler papa (J-C Lattès, 2022). Cet homme, Dominique, qui filmait sous les jupes des passantes dans un supermarché lorsqu’il fut arrêté, en 2020. Les gendarmes découvrent alors, dans son téléphone, 20 000 images et vidéos de sa femme, Marie. A qui ils apprennent qu’elle est violée depuis dix ans.
«La soumission chimique, c’est un peu la face encore cachée des violences intrafamiliales», estime Caroline Darian dans le magazine Causette. Car combien de Dominique? Au moins 73 autres, eux qui défilaient dans cette chambre (cinquante ont été identifiés et finiront devant une cour d’assises) et prenaient leur pied à baiser une femme inanimée. La logique du viol poussée à son paroxysme: rien à voir avec la pulsion sexuelle, mais avec la jouissance de la domination. La volonté de soumettre l’autre et de se repaître de sa fragilité. Or, combien de violeurs? Beaucoup trop…
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