Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | La défense risible des accusés du procès de Mazan: «C’est un viol, mais je ne l’ai pas violée»
Au procès de Mazan, la plupart des accusés reconnaissent avoir commis un viol sur Gisèle Pelicot… mais nient être des violeurs. Ou comment se défendre lorsque, pour la première fois, l’habituel paravent d’impunité ne protège plus.
– Charles: Pour moi, dans ma tête, non, je n’ai pas commis un viol. C’est lui qui me donne son adresse, lui qui vient me chercher sur le parking…
– Le journaliste de TF1: C’est lui qui vous dit de venir, mais c’est vous qui la touchez sans son consentement.
– Sans son consentement, oui. Sans son consentement, oui.
– Et donc, qu’est-ce que c’est quand on touche quelqu’un sans son consentement?
– C’est un viol, oui. Mais vous ne me ferez pas dire ce que je n’ai pas envie de dire. Oui, c’est un viol, mais moi, moi, je n’ai pas violé.
«C’est un viol, mais je ne l’ai pas violée.» Qu’a-t-il donc fait d’autre, Charles, cet après-midi-là à Mazan, dans la chambre de Gisèle Pelicot? Introduire son pénis dans le vagin d’une femme endormie. Tellement droguée par son mari qu’elle continue de ronfler.
Heureusement qu’il y avait la caméra. Sans ces immondes films, ces 50 hommes (sur 72 repérés par les enquêteurs, 22 types vivent quelque part, en toute impunité) n’auraient déjà jamais été identifiés. Puis ils auraient pu continuer à nier; pour la plupart d’entre eux, en garde à vue, il leur aura fallu être confrontés aux images pour reconnaître que Gisèle Pelicot n’était pas en état de donner son consentement.
Ça fait sans doute mal, de devoir se reconnaître violeur. Ou, plutôt, de ne plus pouvoir se réfugier derrière l’habituel paravent d’impunité.
Ça fait sans doute mal, de devoir se reconnaître violeur. Ou, plutôt, de ne plus pouvoir se réfugier derrière l’habituel paravent d’impunité. Les vidéos ne laissent guère place au doute, et la victime n’a pas pu mentir, bien le chercher, porter une jupe courte. Elle dormait!
Ils ne peuvent plus crier «c’est pas vrai!», alors ils scandent «c’est vrai, mais c’est pas ce qu’on avait l’intention de faire». Des «viols sans intention de les commettre» plaident, sans rire, leurs avocats, eux aussi probablement déroutés de ne pouvoir utiliser leurs arguments habituels. Des «viols d’opportunité», soutient dans la foulée la sociologue Irène Théry dans une tribune publiée dans Le Monde. «Ils n’avaient pas prévu leur crime, mais voilà, l’occasion s’est présentée, et l’occasion fait le larron, comme dit le proverbe.»
Pas prévu? Sérieusement, Irène? Tous ont rencontré l’accusé principal sur un forum baptisé «A son insu»; ça dit bien ce que ça veut dire, pour rester dans les phrases toutes faites. Tous savaient que la victime dormirait. Aucun n’avait eu de contact préalable avec elle. Tous avaient accepté de ne pas fumer, de ne pas mettre de parfum, de ne pas avoir les mains glacées, afin que les odeurs ou le froid ne la réveillent pas. Tous savaient exactement ce qu’ils feraient, en se rendant à Mazan: imposer une pénétration sexuelle à une personne, qui plus est par surprise. Soit la définition du viol selon le code pénal.
Ils ne sont pas passés devant la porte ouverte de la chambre par hasard. Ils avaient prévu leur crime. Ça leur raidissait l’entrejambe. Le pouvoir. La domination. L’interdit. «Voir comment ça se passait en ayant toute liberté d’action», dixit Jérôme V., 44 ans, le seul des coaccusés à avoir, au moment de rédiger ces lignes, véritablement plaidé coupable.
C’est aussi simple et moche que ça, le viol. Ça ne porte généralement pas de cagoule. Ça peut se passer l’après-midi d’un jour de semaine, dans une villa d’un village dont personne n’avait jusqu’alors entendu le nom. Ça se commet par des retraités, des gardiens de prison, des infirmiers, des chômeurs, des informaticiens, qui rejoignent ensuite leur femme et leurs enfants. Pour reprendre les mots de Stéphane Babonneau, avocat de Gisèle Pelicot: «Afin que cette société change, il faut avoir le courage de se confronter à ce qu’est véritablement le viol.»
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