Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Jouets stéréotypés: « Se faire du fric sur la charge mentale des mères, c’est du génie ! »
Saint-Nicolas approchant, ils reviennent dans les rayons: les jouets stéréotypés. Qui, dès le plus jeune âge, participeront à conditionner la vision du monde genrée des enfants.
C’est une enseigne qui commence par L et qui finit par L, dont l’attrait premier est l’ouverture quotidienne tardive. Et donc, l’autre soir, entre le muesli Crownfield et le PQ Floralys, dans le rayon-aux-gadgets-inutiles-mais-que-tout-le-monde-achète-quand-même, il y avait des jouets (faut bien que les hommes en rouge remplissent leur hotte). Parmi lesquels un aspirateur sans fil Dyson miniature. 29,99 balles, putain! Mais, attention, aspiration réelle: faut pas déconner avec l’inculcation de la charge mentale, faut que ça fasse plus vrai que nature. Car, évidemment, sur la boîte: la photo d’une petite fille.
Soupirs. A chaque Saint-Nicolas, à chaque Noël, c’est rebelote: les stéréotypes de genre s’affichent, décomplexés, dans tous les catalogues, dans tous les rayons. Comme encore, fin octobre, dans le magasin Leclerc de Montauban, en France: deux belles affiches en tête de gondole (épinglées par le compte Instagram Pépite Sexiste). A droite, une rose (forcément) avec «Filles: Barbie, mannequin», à gauche une bleue avec «Garçons: garages, circuits». Bien sûr, les écriteaux ont été retirés, la chaîne a plaidé l’erreur et le supermarché a – promis juré – «resensibilisé» ses collaborateurs. Jusqu’à l’année prochaine.
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Car le marketing genré résiste à toutes les avancées féministes. C’est en général toujours à ce moment-là qu’il y a un plouc pour dire: «N’importe quoi! Et les mallettes à outils miniatures, alors?» «Certes, répond l’autrice française Fiona Schmidt dans son essai Vieille peau (Belfond, 2023, 304 p.). Reparlons-en le jour où les hommes ayant joué avec une perceuse en plastique enfants bricoleront chez eux autant que les femmes ayant joué à la dînette petites se tapent les corvées ménagères au foyer.»
Peluches, petites voitures et châteaux de princesse sont des inoculateurs de visions du monde.
Et d’ajouter, à propos des cuisinières, machines à laver et tables à langer en format junior: «Je ne sais pas qui a eu [cette] idée, mais je lui tire mon chapeau. Se faire du fric sur la charge mentale de leur mère, faire passer les corvées ménagères pour un divertissement, et ainsi normaliser la répartition genrée du travail domestique tout en minimisant sa valeur, c’est du génie!»
Car ce ne sont pas que des jouets. Sinon, cette copine ne craindrait pas d’acheter une poupée à son gamin, «déjà qu’il a demandé à mettre des robes… De plus, Trucmuche [son mec] n’accepterait pas.» Personne n’hésiterait pourtant à offrir un mini kit du scientifique à une fille. Peluches, petites voitures et autres châteaux de princesse sont en réalité des inoculateurs de visions du monde, des vecteurs de représentations.
«La segmentation marketing est porteuse d’inégalités domestiques et professionnelles observées dans le monde adulte, écrivent Meryem Ben Ssi, Floriane Drouglazet et Lucie Durand dans Genre et marketing (éditions EMS, 2020). En effet, dans l’univers du jouet, alors que les garçons peuvent exercer de très nombreux métiers, relevant d’activités très diversifiées et valorisées souvent pour leur technicité ou le risque qu’elles impliquent (aventure, conquête spatiale, métiers scientifiques…), les filles sont limitées à quelques activités très stéréotypées, peu variées et moins prestigieuses (enseignement, hôtesse de l’air, esthéticienne) dont certaines vont de pair avec une survalorisation du corps (mannequin, chanteuse, danseuse).» Exactement comme dans la «vraie» vie. Comme c’est amusant. Toi aussi, joue à devenir un être inférieur!
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