Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | « Elle est en avance pour son âge »: les petites filles, plus matures que les garçons, vraiment?
« Elle est en avance ». « Elle est mûre pour son âge ». Les néodemoiselles seraient, presque par essence, toujours plus matures que les garçons. Plus posées, plus responsables, plus intelligentes, plus sages, bref plus adultes. Et si elles étaient simplement conditionnées à l’être?
C’était un bébé, un tout petit chat. La voilà maintenant qui met du mascara, fait des selfies sur son premier téléphone, ponctue ses phrases de «PLS» et de «quoicoubeh», lève les yeux au ciel à la moindre remarque. Une ado, une jeune fille de 12 ans, alors que son frère – qui a pourtant un an de plus – joue encore parfois aux petites voitures et lit toujours des blagues de Toto ; ce qui ne fait qu’encourager ses parents à affirmer que la cadette est «mûre pour son âge».
Quelle gamine ne l’est pas? Elle revient toujours, cette petite phrase (ou sa variante: «elle est en avance pour son âge»). Ainsi les néodemoiselles seraient, presque par essence, toujours plus matures que les garçons. Plus posées, plus responsables, plus intelligentes, plus sages, bref plus adultes. Curieux, non, que l’enfance semble plus rapidement prendre fin au féminin?
A moins qu’on ne le leur laisse pas vraiment le choix, aux filles. «[Elles] ne sont pas “plus mûres” […]: elles sont conditionnées à l’être, affirme l’autrice Fiona Schmidt dans son ouvrage Vieille peau (Belfond, 2023, 304 p.). Et les garçons ne sont pas plus immatures que les filles au même âge: c’est juste qu’on tolère mieux leur immaturité.»
Ainsi ce traitement de défaveur débuterait dès la petite enfance, lorsque les mères encouragent leurs petits gars «à faire du bruit alors qu’elles enseignent aux filles à se taire», écrivait Virginie Despentes dans son essai King Kong Théorie (Grasset, 2006). Ajoutant: «Pourquoi continue-t-on de valoriser un fils qui se fait remarquer quand on fait honte à une fille qui se démarque? Pourquoi apprendre aux petites la docilité, la coquetterie, les sournoiseries, quand on fait savoir aux gamins qu’ils sont là pour exiger, que le monde est fait pour eux, qu’ils sont là pour décider et choisir?»
Etre mûres pour leur âge: en fait, les fillettes n’ont pas réellement d’autre choix.
«La féminité se construit en négatif de la virilité: aux garçons, l’exubérance et l’insouciance, aux filles, le contrôle et la “responsabilité”», formule autrement Fiona Schmidt. Comme la pédagogue italienne Elena Gianini observait bien avant elle (dans les années 1970) que des tâches basiques (se laver et s’habiller seule, ranger ses affaires…) étaient inculquées plus tôt à elles qu’à eux.
Ainsi, donc, les fillettes seraient responsabilisées très jeunes. En s’amusant avec des jouets qui leur apprennent à devenir de parfaites ménagères, en s’occupant de petits frères ou sœurs, mais aussi en recevant «des confidences que [des femmes adultes] n’auraient jamais faites à un homme, et encore moins à un petit garçon», selon Fiona Schmidt. Difficile de ne pas penser à cette professeure de piano qui avait confié à sa petite élève ne plus avoir de relations sexuelles avec son mari. Etait-ce à 9, 10 ou 11 ans? En tout cas à un âge où le concept de relations sexuelles lui était inconnu. «Combien de petites filles ont été, comme moi, le réceptacle des secrets, des chagrins et des traumatismes de leur mère, grand-mère et sœur avant l’invention des réseaux sociaux?», écrit l’autrice de Vieille peau.
Etre mûres pour leur âge: en fait, les fillettes n’ont pas réellement d’autre choix. D’autant que leur corps change souvent avant elles, avec cette puberté qui se pointe toujours plus tôt. Cette petite phrase, souvent comprise comme un compliment, relève plutôt de l’injonction, d’après Fiona Schmidt. «C’est une façon de légitimer leur sexualisation précoce, et la charge mentale et émotionnelle qui en découle.» Et qui ne les quittera plus jamais…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici