Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Dingues de fringues: pourquoi les femmes achètent tant de vêtements

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

C’est un cliché, mais c’est statistiquement vrai. Les femmes achètent (beaucoup) plus de vêtements que les hommes. Entre chasseurs-cueilleurs, vide émotionnel et coût de la féminité, comment expliquer cette tendance ?

Heureusement, c’était un des rares jours ensoleillés de ce pluvieux mois de mai. Sous la flotte, pas sûre qu’il y aurait eu plus de trois heures de file dans le Marais. Quoique. A Lyon, Montpellier ou Toulouse, c’était exactement la même foule (compacte) qu’à Paris le 5 mai dernier, devant la boutique éphémère de Shein, le géant chinois de la mode en ligne. Quasi que des jeunes, dans la file. Et… quasi que des meufs.

La fast fashion, définitivement un truc de filles. Pas seulement parce que 70% à 80% des petites mains qui fabriquent ces tee-shirts, robes et pantalons vendus pour une poignée d’euros sont celles de (très) jeunes femmes (1). L’étude date un peu (2019) et ne concerne que la France mais, selon le site Statista, les jeunes femmes de 18-30 ans consacreraient annuellement 487 euros à l’achat de vêtements, contre 402 euros pour les hommes. Autre analyse, encore plus ancienne: en 2013, selon l’Institut français de la mode, la consommation de prêt-à-porter féminin (10,6 milliards) dépassait de 20% celle de son pendant masculin.

Pourquoi tant de fringues? Daniel Kruger, psychologue américain œuvrant à l’université du Michigan, a cru bon de développer une théorie basée sur… les chasseurs-cueilleurs. Selon lui, en gros, les dames reproduiraient inconsciemment dans les boutiques le comportement de leurs ancêtres qui flânaient jadis pour trouver la meilleure récolte, tandis que les messieurs iraient droit au but comme les «hommes des cavernes qui partaient à la chasse, tuaient la bête et s’empressaient de la rapporter avant qu’elle ne pourrisse». Hum.

Pourquoi les femmes achètent-elles tant de vêtements ?

Pour rester dans la psychologie (de comptoir), place à la théorie du «vide émotionnel», que les garde-robes – qui ne s’appellent d’ailleurs pas «garde-costumes», tiens – débordantes compenseraient. Un coup de mou? Vite, un achat compulsif pour s’octroyer un petit shoot de dopamine! Mouais. Mais c’est vrai que ces dames semblent socialement moins heureuses, si on se fie aux statistiques de l’Inami: en 2020, en Belgique, 70,5% des personnes souffrant de burnout étaient des femmes, idem pour 67,5% des cas de dépression.

Reste qu’il est étonnant de se ruiner en fringues (qui parfois, il faut l’avouer, resteront dans les dressings sans même qu’on en ait ôté l’étiquette) alors que les revenus féminins sont notoirement moins élevés que les salaires masculins. Sans doute les femmes seraient plus riches si elles ne devaient point assumer le coût de leur féminité, qui les pousse à dépenser de petites fortunes en crèmes, poudres et autres étoffes censées les sublimer. Ou, plutôt: censées les aider à se conformer à ce que la société attend d’elles. Des êtres d’apparence, puis seulement ensuite (éventuellement) de contenu. Quoi qu’elles fassent, leur forme primera d’abord sur leur fond. Alors, elles font : du shopping, des soins, des colos…

La fast fashion, un truc de filles. Pas seulement parce que ce sont de (très) jeunes femmes qui la fabriquent.

En 2014, lassé de voir sa collègue recevoir des messages commentant sans cesse ses tenues, le présentateur australien Karl Stefanovic avait décidé de porter chaque jour le même costume, sans rien dire, jusqu’à ce que les téléspectateurs s’indignent de sa monotonie vestimentaire. Au bout d’un an et de zéro remarque, il avait lui-même révélé la chose. «Les femmes sont attaquées pour avoir porté la mauvaise couleur […], fustigeait-il dans le Sydney Morning Herald. Moi, je suis jugé sur mes interviews, mon sens de l’humour, la manière dont je fais mon travail.» Avec une telle rentabilisation de son veston, c’est sûr, pas besoin de l’acheter chez Shein.”

(1) Selon Clean Clothes Campaign, un réseau international d’ONG et de syndicats œuvrant pour la défense des droits des travailleurs de l’industrie textile.

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