Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Connes, moches, putes: pourquoi les femmes se font toujours insulter de la même manière
C’est le triptyque de l’insulte sexiste: conne, moche et pute. Pourquoi ces trois termes, et leurs déclinaisons, sont toujours utilisés contre les femmes?
Pourquoi celui-là plus qu’un autre? Ce n’est vraiment pas la haine qui manque, sur les réseaux sociaux. Mais certains commentaires éprouvent plus que d’autres et, ce jour-là, ce collègue n’aurait pas dû lire ce «dans 50 ans, on se foutra royalement de la gueule de ce genre d’articles écrits par des débiles mentaux» sous l’un de ses –excellents– articles.
Lire l’intelligent billet d’humeur qu’il a rédigé dans la foulée (sur la responsabilité de Facebook et compagnie en matière de cyberviolences) a fait remonter quelques souvenirs à la surface. Comme ce «Vous étiez vraiment habillée comme une pute!», reçu après une intervention télévisée. Ou encore cet élégant «Iel dirait moins de conneries si elle avait une bonne bite en bouche». Plus récent: «Vous êtes un homme déguisé en femme très moche donc je vous fais caca dessus.»
Pas question de jouer ici à «qui a reçu la pire offense», mais même le plus hargneux des trolls n’aurait jamais eu l’idée de lancer un «il dirait moins de conneries s’il léchait une bonne petite chatte» à ce confrère. «Il est interpellant de constater à quel point, lorsqu’il s’agit d’une femme, l’attaque devient personnelle, se concentre sur la forme et non le fond», analysait dans ces pages, en 2019, Caroline Closon, professeure de psychologie du travail à l’ULB. Rejointe par Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie à l’UCLouvain: «[Dans l’insulte] les hommes sont associés à des notions de compétence, d’intelligence.» Tandis que les femmes, en plus d’être bêtes, sont également systématiquement ramenées à leur apparence… et à leur sexualité.
Conne, moche, pute: le triptyque de base de tout insulteur sexiste. Donc «débile mentale», certes, mais aussi «débile mentale qui fait peur à voir», voire «débile mentale qui fait peur à voir et que personne ne toucherait, pas même avec un bout de bois». Tous les raids virtuels un peu médiatisés de ces dernières années (la journaliste française Nadia Daam, ses consœurs belges Myriam Leroy et Florence Hainaut, la YouTubeuse Marion Séclin qui avait reçu 40.000 messages haineux après avoir posté une vidéo sur le harcèlement de rue, l’élue écolo Margaux De Ré…) tournent inlassablement autour de ces trois champs lexicaux. Avec quelques variantes côté cul: le «salope» flirte souvent avec le «mal-baisée». Trop ou pas assez, la femme n’écartera décidément jamais les jambes de manière adéquate.
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«Lorsqu’il s’agit d’une femme, l’attaque se concentre sur la forme et non le fond.»
«Quand on quitte l’espace intime pour l’espace public, c’est comme si on se promenait avec son sexe sur le visage», dixit Laurence Rosier, professeure de linguistique et d’analyse du discours à l’ULB. Selon Vincent Yzerbyt, «les stéréotypes ont aussi une fonction prescriptive, ils nous disent ce que les gens devraient être».
Et les femmes devraient être chez elles, donc. A préparer la popote en attendant que leur homme revienne et pose ses charentaises sous la table. Gentilles, douces, accommodantes, serviables, effacées. Certainement pas à donner leur avis sur le monde ou à faire aller leur grande bouche sur l’égalité des genres. Surtout, surtout: ne jamais critiquer l’homme. Le mâle se sent facilement menacé, au milieu de ses privilèges. Et quand l’homo erectus a l’impression qu’une donzelle prend trop de (sa) place, lui toujours faire ça: conne, moche, pute!, conne, moche, pute!, crache-t-il. «Un retour de manivelle pour mieux [la] faire rentrer dans le rang […], comme l’analyse Vincent Yzerbyt. Un levier pour rétablir un rapport de force.» L’homo erectus en a toujours eu plus dans les muscles que dans le cerveau.
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