Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Comment les sciences médicales reflètent les inégalités dans la société

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Entre «ne pas payer la note au restaurant» et «entrer gratos en boîte», l’argument arrive généralement dans le Top 3 des privilèges féminins: «Vivre plus longtemps.» C’est vrai, mais…

L’espérance de vie des femmes belges s’élève, en moyenne, à 84 ans, contre 79,2 ans pour les hommes, selon les chiffres de Sciensano de 2021. Mais c’est une fausse bonne nouvelle: cinq ans de plus sur Terre, certes, mais cinq ans de plus en mauvaise santé… Ces dames «vivent plus d’années avec des incapacités», détaille l’étude: elles souffrent davantage de problèmes de santé de longue durée (29% contre 25% en 2022), elles se déclarent plus limitées dans leurs activités quotidiennes (28,3% contre 22,9%). Elles souffrent également davantage d’incapacités de travail de longue durée (14,7% contre 8% ; et ça, c’est un calcul du Bureau fédéral du plan). Dans leur tête, ça va moins bien aussi (elles représentent 70,5% des burnouts et 67,5% des dépressions, dixit l’Inami). Sans parler des maladies chroniques (15,4% contre 11%)…

Les sciences médicales sont le reflet des inégalités dans la société.

Bref, ça commence à faire beaucoup pour que ça relève purement du hasard. Tant de différences, ça doit passionner les chercheurs, ça! Non? Non. Les études en la matière sont aussi inexistantes que les données difficiles à obtenir. Comme si personne n’avait jamais réellement pensé à analyser la santé sous l’angle genré. «Les données désagrégées par sexe ne sont pas toujours disponibles», regrette Svetlana Sholokhova, chargée de recherche en santé à la Mutualité chrétienne (MC) et coautrice d’un rapport, publié le 5 octobre, sur les biais de genre dans les soins de santé.

D’emblée, elle évacue la question des différences biologiques, qui ne permettent «pas de rendre compte de l’ensemble des différences de santé observables». Bref, les femmes ne sont pas naturellement plus fragiles que les hommes. Et si c’était plutôt la société qui les minait? Par exemple par ces «facteurs économiques défavorables»: pauvreté (qui les affecte davantage), discriminations (à l’embauche, salariale…), temps partiel… Moins d’argent = moins de soins. Et puis, «la pratique médicale entretient une longue histoire avec les biais de genre». Médicaments beaucoup moins testés sur des patientes (et même, avant cela, sur des souris femelles), «rapport paternaliste et sexiste de la science en général qui a tendance à niveler le point de vue des femmes et leurs ressentis», «risque accru pour les femmes d’avoir un mauvais diagnostic ou de ne pas [en] avoir du tout»…

Parce que les médecins sont majoritairement des hommes? L’étude de la MC montre que plus les spécificités médicales deviennent complexes (chirurgie, cardiologie…), plus les femmes en sont absentes. Les docteurs soigneraient-ils moins bien les patientes? «C’est une question très complexe, observe Svetlana Sholokhova. Il ne suffirait pas d’une parité pour que la situation change. La relation causale n’est pas aussi directe mais si les femmes étaient davantage représentées, il y aurait davantage d’attention portée aux femmes ainsi qu’à leurs symptômes.»

Et Elisabeth Degryse, vice-présidente de la Mutualité chrétienne, de renchérir: «Les sciences médicales ne sont pas neutres. Elles reproduisent certains stéréotypes et sont le reflet des inégalités dans la société.» Et ça, c’est une maladie inquiétante.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire