Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Cette épuisante nécessité de toujours devoir flatter l’égo masculin

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Après le « dad blessing » (cette tendance à acclamer un père dès qu’il réalise un acte de parentalité tout à fait ordinaire), voici pourquoi il faudrait inventer le concept du « man blessing ».

L’anecdote commence à dater un peu. C’était un dimanche de Pâques, l’une de ces fêtes de famille où l’on profite des premiers rayons UV printaniers. Entre une gorgée de cava et un toast au saumon, ça parlait tâches ménagères. A peu près en ces termes:

– «Dites, [à l’ex-belle-mère] vous savez que vous ne rendez pas service à votre fils, en venant tout faire chez lui à sa place?»

– «Ah oui, mais bon, j’ai le temps, ça m’occupe.»

– [Sa fille, accessoirement chirurgienne]: «Ah mais, maman, si tu t’ennuies, viens nettoyer chez moi, ça m’aiderait!»

– «Ben non, toi, tu es une fille.»

Surtout, ne pas avaler de travers ses bulles tièdes: il faut choisir ses combats et celui-là était sans doute perdu depuis longtemps. Ce morceau de vie passée a resurgi, l’autre jour, en lisant cet article de Ouest-France: «Dès qu’un père s’investit, la société applaudit: le “dad blessing” ou les pères sacralisés.»

Oui, oui, encore un mot en «ing», après mansplaining, manspreading, bropropriating ou encore manslamming. Horripilant, effectivement, mais cette nouvelle manie lexicale a au moins l’avantage de visibiliser une tendance sociétale. A savoir, pour en revenir au dad blessing, celle de s’émerveiller dès qu’un papa torche les fesses de son nouveau-né (oooh, comme il dévoué!), est présent devant l’entrée de l’école à 15 h 10 (oooh, ça ne doit pas être facile, avec le boulot!), se lève la nuit pour donner un biberon (oooh, mais il va être fatigué! ) ; bref, réalise tous ces actes de parentalité considérés comme ordinaires pour une maman.

« Quoi que les mères fassent, ce sera perçu comme normal puisque ça leur viendrait naturellement. »

Connerie d’instinct maternel. «Un mythe […] tenace, considère la sociologue Illana Weizman dans Ouest-France. Quoi que les mères fassent, ce sera perçu comme normal puisque ça leur viendrait naturellement.» A la différence, donc, de ces «nouveaux pères», désormais régulièrement salués médiatiquement et socialement, ces êtres tellement exceptionnels qu’ils parviennent même à remplir la boîte à tartines de leurs rejetons et à leur dénicher un costume de carnaval. In-croy-able.

Mais, au fond, le dad blessing est fort mal nommé. Il faudrait davantage parler de man blessing (copyright @unesacreepaire, merci). Car cette tendance à la sacralisation ne se limite guère à la sphère parentale. Ainsi, il est bien vu de féliciter un homme qui passe de temps à autre l’aspirateur (ou, donc, nettoyer à sa place, puisqu’il n’est pas une fille). Il faut bien sûr s’extasier en goûtant un plat préparé par ses soins, quand bien même le pot de piment chinois serait tombé dedans (bisous, Papa). Ne jamais manquer de complimenter la cuisson de la viande au barbecue, aussi. Mais qui s’émeut du parfait assaisonnement des carottes râpées?

En parlant de crudités, bien sûr, il faut brosser le concombre dans le sens du poil: comme il est grand, comme il est bon, comme il est dur! Miam, miam, jamais goûté un aussi savoureux. Puis, évidemment, remercier le sus-cité légume pour l’éventuelle jouissance procurée.

Bref, «parce que le chemin vers le cœur d’un homme passe par son ego, il ne faut pas hésiter à le flatter» (lu sur un blog féminin à la noix). Quitte à considérablement alourdir sa charge mentale, mais bon, celle-ci n’est plus à ça près. Toutefois, qui louange au quotidien la femme? Pour autre chose qu’obtenir une faveur (sexuelle) de sa part? Hein, qui?

Une sacrée paire prend congé cet été. Pour mieux revenir à la rentrée!

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire