Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | « C’est dans la tête »: pourquoi minimise-t-on la douleur des femmes?

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

«Mes larmes, ma morve et moi sommes sorties du cabinet.» Un cabinet que Valérie Bidégaré avait fini par parfaitement connaître, à force de le fréquenter depuis des mois.

A force d’y raconter les migraines, les douleurs dans le bas du ventre et du dos, les rapports sexuels pénétratifs impossibles, les doubles serviettes «maxi pads» de nuit qu’elle portait de jour mais qui n’empêchaient pas sa chaise de bureau d’être régulièrement tâchée de sang. Ce jour-là, après de ixièmes analyses, elle pensait enfin en ressortir avec un diagnostic. Un mot à mettre sur ses maux. Mais elle en reçut plusieurs. En pleine face: «C’est dans votre tête.»

Un seul aurait pourtant suffi: endométriose. Ce retard de diagnostic si fréquent (certaines études indiquent qu’il peut être de six à douze ans), Valérie Bidégaré en a fait un livre, C’est dans ta tête, paru en avril dernier aux éditions Québec Amérique. Dans lequel d’autres, atteintes de pathologies souvent sous-estimées (vestibulite, vestibulodynie, dyspareunie…) racontent à leur tour. Mais, surtout, dans lequel elle s’interroge: pourquoi minimise-t-on la douleur des femmes?

Car ces maux «imaginaires» peuplent étrangement tant de cerveaux féminins que cette petite phrase assassine en dit finalement davantage sur celui ou celle qui la prononce que sur celles à qui elle est censée s’appliquer ; à savoir qu’il ou elle connaît probablement fort peu les spécificités de l’anatomie de ces dames. Médecin ou pas. Comme cette généraliste qui avouait n’avoir aucune idée de l’apparence d’un clitoris (n’est-ce point pourtant un organe du corps humain? ).

Mais ce n’est pas leur faute, à ces professionnels de la santé. C’est celle d’Hippocrate, père de la médecine moderne, et de sa «théorie des humeurs». Selon lui, tout dysfonctionnement était dû à un déséquilibre d’un des quatre éléments capitaux du corps humain: le froid, le chaud, l’humidité et la sécheresse. Difficile à résumer en trois lignes, mais en bref: les hommes étaient, naturellement, parfaitement équilibrés, tandis que les femmes étaient trop peu ceci, trop cela. Bam, vision ancrée pour des milliers d’années. A eux la raison, à elles l’émotion.

«[…] On reste conditionné par cette idée que les femmes ne décrivent pas bien leurs maux, qu’elles sont émotives, donc plus sujettes aux crises d’angoisse, à l’anxiété, et je pense que ça continue de teinter la vision actuelle des médecins lorsqu’une femme présente des problèmes qui peuvent pourtant bien être physiques», avance dans l’ouvrage l’historienne Andrée Rivard, chargée de cours à l’université du Québec.

Svetlana Sholokhova, chargée de recherche en santé à la Mutualité chrétienne et autrice d’une étude sur les biais de genre en médecine, cite cette étude, réalisée dans un service d’urgence. «Les patients faisaient état des mêmes plaintes et présentaient les mêmes symptômes. Or, les hommes se voyaient davantage prescrire des antidouleurs, et les femmes des anxiolytiques

Tout ça, c’est dans la tête… des médecins. De tout le monde. Des femmes elles-mêmes, aussi, habituées qu’elles sont à considérer certaines douleurs comme naturelles (il faut souffrir pour être belle, blablabla). Tout ça, ce sont des stéréotypes de genre, fondations de la société actuelle. Une maladie chronique, au traitement encore à élaborer. Retard de diagnostic: plusieurs siècles…

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