Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Barbie, ou les bienfaits du « patriarcat pour les nuls »
C’était LA question de l’été: Barbie est-elle féministe ? Trop ? Pas assez ? Trop accomodante envers Mattel, sans doute. Pas assez radicale, probablement. Mais néanmoins essentielle à la diffusion de l’égalité des genres vers des publics peu conscientisés à la chose.
Coucou! Nous revoilou. Alors, c’était comment, cet été? Les baignades dans les flaques, le vin chaud en terrasse, la raclette au coin du feu, tout ça tout ça? Cette saison estivale pour le moins humide n’a sans doute réjoui que les exploitants de cinémas: (Barbie + Oppenheimer)Xdrache = € € €. Enfin, c’est surtout elle qui fait pleuvoir les billets: les recettes au box-office mondial ont dépassé le milliard de dollars.
Bonne nouvelle! Le féminisme fait donc vendre. Mais non, ce n’est pas la plastique irréprochable de Margot Robbie qui attire le cinéphile. Plutôt le message égalitaire du long métrage (mais si). Car l’actrice, comme la réalisatrice Greta Gerwig, l’a rabâché à longueur d’interviews: bien sûr, que la poupée rose est un symbole d’émancipation ; elle a exercé plus de deux cents métiers et a commencé sa carrière à une époque où ces dames quittaient rarement la cuisine ; elle possédait sa maison, son avion et son camping-car alors que les femmes n’avaient pas droit à un compte bancaire sans l’autorisation maritale ; enfin, contrairement aux poupons, elle n’encourage pas le développement de l’instinct maternel (passer son temps à se coiffer, s’habiller et draguer Ken: voilà une libération rondement menée).
Barbie, c’est un peu «le patriarcat pour les nuls».
Bref. Elles avaient tout faux, les féministes qui s’égosillent depuis des décennies. Et ce corps parfaitement irréaliste qui ne serait même pas capable en vrai de contenir des organes, gnagnagna, et ces enfants particulièrement influençables imprégnés par ces normes, gnugnugnu, et cette idée qu’il faut forcément être jolie pour réussir, gnignigni… D’ailleurs, maintenant, il existe même une Barbie trisomique, et même qu’elle est plus ronde, na! «La première [poupée] qui respecte plus ou moins les proportions féminines n’est pas vêtue comme une tepu, ne porte pas d’escarpins […] vient de sortir, et c’est Barbie trisomique 21. Grâce à Mattel l’inclusive, nous connaissons enfin le syndrome duquel nous souffrions toutes depuis de si longues années à notre insu», raillait à l’époque l’artiste liégeoise Aurélie William Levaux.
Le film de Greta Gerwig reste empêtré dans cette contradiction permanente. Faire plaisir à Mattel (c’est la firme qui a payé) tout en tentant de se montrer irrévérencieuse. Redorer l’image de Barbie tout en essayant d’affronter les critiques à son encontre. Donner une leçon de féminisme tout en débordant de clichés. Faire entrer un carré dans un rond, ça passe difficilement, même à Barbieland.
Néanmoins, Barbie, c’est un peu «le patriarcat pour les nuls»: une bonne base pour les profanes, un truc qui ne mange pas de pain pour les spécialistes. Mais qui reste essentiel, de par sa puissance de frappe, les premiers étant (encore) plus nombreux que les seconds. «Jamais le female gaze, ce regard de femme posé sur le monde à travers l’œilleton de la caméra, ne s’est imposé à des centaines de millions de spectateurs et spectatrices avec autant de force», relevaient dans Le Monde, le 16 août, les chercheuses Marjolaine Boutet et Hélène Breda.
Barbie, c’est aussi une parfaite illustration du «féminisme pop», décrit par la chercheuse Sandrine Galand dans l’ouvrage éponyme (éd. du Remue-ménage, 2022) décryptant ce «féminisme qui se réclame du capitalisme, un féminisme récupéré par le discours commercial, un féminisme de privilèges, un féminisme dévalué à cause de sa part de populaire». Dommage: il est en fait essentiel. Car, contrairement à son penchant «intellectuel», il ne s’applique pas à convaincre des convaincues…
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