Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Au secours, une ‘gender reveal party’ (ou le sexisme inculqué avant même la naissance)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Les ‘gender reveal parties’ se multiplient depuis une dizaine d’années. Un phénomène venu des Etats-Unis, qui en plus d’être nul, inculque le sexisme avant même la naissance du bébé.

C’est le malheur des trentenaires célibataires et nullipares: les apéros entre potes sont, au cours de cette décennie, progressivement remplacés. Au mieux par des enterrements de vie de jeunes filles (où il sera normalement au moins possible de boire Spritz et gin tonic), au pire par des baby showers (qui seraient plus marrantes s’il était au moins possible d’y boire Spritz et gin tonic). Mais il y a pire encore. VRAIMENT pire: les gender reveal parties.

Un concept importé des Etats-Unis, qui se résume comme suit: faire en sorte de réaliser la meilleure vidéo ou photo à publier sur les réseaux sociaux, à coups de paillettes, de ballons, de cupcakes, de feux de Bengale, voire de fumigènes. Et, accessoirement, révéler le sexe de l’enfant à naître. Selon une étude réalisée début 2023 par une plateforme anglaise (Confused.com), ces tranches de vie sont le sixième type d’événement personnel le plus partagé sur TikTok (14,3 milliards de vues pour ce hashtag à l’époque). Les chasseurs de likes ne reculent devant aucune extravagance, allant parfois jusqu’à faire révéler la bonne nouvelle par un… alligator.

Les parents ne reculent parfois devant aucune extravagance pour leur gender reveal party. (Getty)

Tout ça, bien sûr, sans une goutte d’Aperol ou de Tanqueray. D’autant que ces boissons n’ont même pas la décence d’être bleues ou roses. Or, c’est précisément le principe: confettis et compagnie se doivent d’arborer l’une ou l’autre couleur ; c’est de cette manière que les spectateurs ébaubis apprennent la nouvelle. Au Brésil, en 2022, un couple a même teint l’eau d’une cascade en bleu layette. Ce qui a – pas de chance – entraîné l’ouverture d’une enquête pour pollution par le ministère de l’Environnement.

Ainsi donc, avant même de voir le jour, les stéréotypes de genre s’imposent aux fœtus. Quel magnifique cadeau de naissance! Sans doute ces êtres en devenir seront-ils ravis de découvrir, plus tard, tous ces pères crier «fuck! fuck!» ou lancer violemment des objets par terre en se retrouvant immergés sous une pluie de pétales roses (évidemment, personne n’est jamais déçu d’avoir un garçon).

Pourvu aussi que ces futurs bambins, ils ou elles, ne se sentent pas davantage iel au fur et à mesure de leur existence. Comme l’un des enfants de… l’inventrice du concept, en 2009, la blogueuse américaine Jenna Karvunidis. «Le premier bébé d’une gender reveal party est une fille qui porte des costumes!», écrivait-elle, en 2019, sur Facebook, ajoutant regretter que «plus d’emphase que nécessaire» soit portée sur le genre, alors que «l’accent mis sur le sexe à la naissance laisse de côté une grande partie de leur potentiel et de leurs talents, qui n’ont rien à voir avec ce qu’il y a entre leurs jambes».

Avant même la naissance, les stéréotypes de genre s’imposent. Beau cadeau!

Tous les parents qui ont succombé à cette mode feront-ils preuve de la même capacité d’autocritique? Leur attrait prononcé pour le rose ou le bleu permet, en tout cas, de douter du caractère dégenré qu’ils prodigueront ensuite à leur progéniture tout au long de leur existence. Qui va recevoir une Barbie ou un ballon de foot à la Saint-Nicolas? C’est sans doute ça, le plus démoralisant: qu’à l’heure où le féminisme s’efforce patiemment de déconstruire tous ces stéréotypes chevillés au corps sociétal, tant d’adultes (et a fortiori de mères) s’y engouffrent les yeux fermés. Comme si de rien n’était. Comme si l’égalité, pour enfin pouvoir se concrétiser, ne devait pas désormais d’abord s’immiscer au quotidien dans tous les foyers et infuser les mentalités.

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