Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Amincissement et fellation, comment expliquer cette obsession féminine pour des lèvres charnues

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

De toutes les interventions de chirurgie esthétique les plus populaires actuellement, l’augmentation des lèvres serait la plus demandée. Pourquoi cette volonté féminine d’avoir une bouche toujours plus charnue?

C’est un tube, comme un rouge à lèvres, qui promet –contre quelques dizaines d’euros– une bouche façon canoë gonflable durant deux à trois heures. Un concept somme toute un peu étrange; ce serait comme ingérer une pilule anticalvitie à 18 heures pour perdre sa nouvelle crinière dès 21 heures. Cendrillon des temps modernes. De quels subterfuges les femmes ne seraient-elles apparemment pas prêtes à user pour «labialement» ressembler à Angelina Jolie?

Une recherche «russian lips» (soit l’augmentation des lèvres par injection d’acide hyaluronique) sur Google délivre 136 millions d’occurrences, contre «seulement» 83 millions pour le mot-clé «nose injection» et 1,5 million pour «jawline injection» (le remodelage de la mâchoire). «Le Top 3 des actes les plus demandés à l’heure actuelle chez nos jeunes patientes», résume le chirurgien esthétique Bertrand Durantet sur le site de l’Association française de médecine esthétique et antiâge, dans un article où il souligne que le remodelage labial est devenu particulièrement populaire. «Il suffit d’ouvrir [ses] réseaux sociaux.»

De fait, sur Facebook, Insta, TikTok, les applications de rencontre, cette curieuse obsession féminine pour les badigoinces démesurées saute aux yeux. Aux plus charnues, au mieux. Sur les selfies, ces excroissances faciales s’accompagnent généralement d’une duck face, cette pose annoncée has been dès 2013, mais qui semble en fait survivre à tout, telle une chanson de Gilbert Montagné.

Ces lippes gonflées à outrance ne seraient-elles pas, aussi, un message subliminal envoyé à la gent masculine?

Les patientes zéro de cette épidémie de «hyaluronie aigüe» sont aisément identifiables. Kim Kardashian, Kylie Jenner et ces autres vedettes refaites qui donnent le la d’une féminité que tant s’empressent ensuite de copier. Le conformisme social s’occupe alors de faire percoler la tendance, tant et si bien que même une préado de 13 ans ne peut désormais plus s’empêcher de faire la moue à la vue d’un smartphone (avec les doigts en V, il paraît que c’est «plus ouf»).

Donc, même une jeune fille de 13 ans a déjà intégré la symbolique derrière ce bec de canard farci aux fillers. Que ça lui permettra d’afficher un visage d’apparence plus fin et anguleux, histoire de coller davantage à cette féminité que d’autres lui ont déjà imposée. Qu’elle ressemblera ainsi un peu plus à tout le monde. Et, surtout, qu’elle paraîtra plus sensuelle, plus séduisante.

Car ces lippes gonflées à outrance ne seraient-elles pas, aussi, un message subliminal envoyé à la gent masculine? Entre de telles lèvres, messieurs, les vôtres –voire d’autres parties de votre anatomie– seraient bien gâtées? L’exacerbation de la bouche comporte une charge sexuelle. Dans un documentaire sur l’histoire du rouge à lèvres, la réalisatrice Claudia Marschal décrit comment, après la Révolution française, ce type de maquillage permettait de distinguer les femmes et leur vertu, devenant même le signe distinctif à une époque des travailleuses du sexe. Dans son livre Sur la bouche. Une histoire insolente du rouge à lèvres (éditions Premier Parallèle), Rebecca Benhamou considère que l’accentuation de la bouche, si elle a historiquement eu un caractère émancipatoire, ne reflète plus désormais que le symbole de la femme-objet et du patriarcat.

«Chacun a tendance à afficher ce qu’il ou elle pense qui plaira à un partenaire potentiel, détaille Sarah Galdiolo, professeure de psychologie clinique à l’UMons. Consciemment ou pas, les femmes savent que les hommes seront attentifs chez elles à des critères de beauté, d’apparence. C’est pour ça qu’elles sont plus attentives à la mode, qu’elles se maquillent…» Et que désormais, certaines se fourrent de fillers. Les modes passent, l’objectification féminine reste.

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