Thierry Fiorilli

La ruelle d’Adem (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Comment Adem, petit chasseur de trésors, a transformé un sentier mal famé et malodorant en ruelle enchantée.

Elles portent souvent un nom bien plus joli que leur apparence. Comme si on avait voulu attifer de soie une carcasse toute rouillée. Ou alors, elles étaient si ravissantes au début, et c’est le temps qui les a avilies. En tout cas, on dirait que, dans les grandes villes, on baptise mieux les ruelles qu’on ne les traite.

Si on est attiré par leur plaque, ou si on tombe dessus par hasard, et qu’on les prendrait volontiers comme raccourci, on rebrousse vite chemin tant elles peuvent incarner ce que le glauque signifie. Ça pue le déchet et la déjection. Les murs vous y tournent le dos, tout suintant de défaites et d’humiliations. Les rares portes montrent crocs et chicots. Comme une décharge entre le repaire d’assassins et la fosse commune.

Un petit chasseur de bois et d’autres trésors abandonnés sur nos trottoirs.

Sauf que, des fois, la ruelle est belle. Ainsi du chemin des Roses, à Uccle. Un petit couloir étroit, pavé, pentu et anguleux, qui relie un tronçon un peu maussade de la chaussée d’Alsemberg à la plus coquette rue de la Fauvette, une centaine de mètres plus haut. En bas, elle observe le trafic, assez dense et à double sens, des trams, voitures et piétons dont la plupart ne lui accordent pas la moindre attention. On s’y aventure, par pure curiosité. Pas le moindre pétale au sol, pas le moindre rosier en vue. Ni la moindre présence humaine. On entend gazouiller, derrière une somptueuse végétation qui fait comme une haie d’honneur: des plantes grimpantes, des plantes tombantes, des fleurs orange, rouges, bleues, des extraverties, des menues, un palmier… Avec le soleil, même d’octobre, on dirait ailleurs, quelque part au sud, mais le roux des feuilles transporterait aussi vers l’Extrême-Orient.

On est soudain en pleine trêve. Clairement forgée par celles et ceux qui habitent ici, derrière ce miracle végétal. Parce qu’il y a des jardinières, que les bouquets vivants y ont été pensés, qu’on y a semé des décorations, qu’on laisse la nature s’y éclater mais qu’on lui donne un coup de main.

Et puis, on aperçoit un nichoir en forme de Creeper, la créature verte iconique du jeu Minecraft. Et un autre, fait dans une boîte à gâteau ronde et jaune. Un dans un djembé. Et là, dans une rosace de bois d’église. Il y en a, si on a bien regardé, seize, disséminés sur toute la façade de l’une des maisons, à gauche en remontant. Plus deux mangeoires. Créés par Adem, 7 ans, avec l’aide et les outils de son papa, Bernard. Et avec des objets récupérés. Parce que, comme dit Bernard, Adem est un petit «chasseur de bois et d’autres trésors abandonnés sur nos trottoirs».

Père et fils ont mis un an pour rhabiller leur mur. Et puis, des passants, extasiés, ont rajouté un objet, un ornement, par-ci par-là. Et les plantes ont proliféré. Et les tags ont cessé. Et l’ancienne allée des amoureux, devenue sentier mal famé et malodorant, s’est changée en venelle enchantée. Et pas que pour les oiseaux, fauvettes ou non, qui y ont allègrement (re)pris leur quartier.

Ça n’arrange pas l’état du monde, ça n’améliore pas les fins de mois, mais ça prouve que d’un passage sinistre on peut faire un visa pour la splendeur.

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