Thierry Fiorilli

C’est beau comme | La musique et la fête pour vivre sa vie plutôt que craindre de la perdre (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Cinq ans après la pandémie, un autre virus menace, celui de la guerre. Mais la musique et la fête rappellent qu’il y a plus important que de ne penser qu’à gagner sa vie ou craindre de la perdre: la vivre.

Parfois, les gens qui font la fête, c’est un peu pathétique. Parce que ça vire au gros n’importe quoi, que c’est trop clinquant, que ça s’éclate sur des clichés, que ça se termine la tête dans la cuvette ou la panse entre deux poubelles. Mais parfois, c’est terriblement émouvant. C’était le cas le soir du Mardi gras, dans le centre de Bruxelles. Avec la parade de 25 musiciens, de trois groupes jazzy-funk, dans le plus pur style Nouvelle-Orléans, partie de la Bourse à 17h30 pour finir quatre heures plus tard tout près de la place Sainte-Catherine, via la rue des Chapeliers, la Grand-Place, les galeries Saint-Hubert, la rue de Flandre et la rue Dansaert. Concept tout simple: on va de bar en café, en y bivouaquant, devant ou dedans. Donc, entre les coups, on s’en boit quelques-uns. Et toutes ceux qui veulent suivent l’orchestre ambulant, de préférence déguisés et évidemment en dansant.

Sur le parcours, des gens s’arrêtent, ravis, filment, battent des mains ou viennent grossir les rangs. Des fenêtres s’ouvrent, aux étages, comme au passage de libérateurs, et des visages radieux en surgissent. Des balcons se font podiums, avec, dessus, de petites chorégraphies improvisées. On dirait que la musique de la troupe mobile envoûte tout qui elle croise, comme un fumet magique se propageant dans la ville et mettant en joie ceux qui le respirent.

Dans le dernier établissement, c’est l’apothéose. La sarabande de cuivres et de percussions, avec la capitaine de la parade qui se déhanche sur une table, guirlande LED bleue autour du cou. Autour, debout, serrée, une grosse cinquantaine de personnes qui ne se connaissent pas forcément mais qui ondulent, tapent du pied ou suivent le rythme de la tête à l’unisson. Il y a des types à l’allure de vieux pochards, des filles très classe, des costumes-cravates, des blousons de cuir, des jeunots, des âges mûrs, des couples, des bandes, des touristes, des d’ici, des de toutes les couleurs.

«Un écho résonne, cinq ans plus tard, du dernier soir d’avant-confinement. C’était alors la pandémie qui rendait l’avenir incertain.»

Et tout le temps que l’orchestre joue –en fait, jusqu’à ce que les lèvres des uns, gercées et brûlées, et les bras des autres, durcis et asséchés, demandent grâce–, tout le monde plonge dans l’air de la fête. A sa manière, en hululant ou avec retenue, mais sans feindre, spontanément et avec une intensité qu’on peut toucher. Durant cette heure-là, cet endroit-là, comme probablement mille autres où on fait la nouba par besoin, par urgence, par rébellion, résonne comme un écho, cinq ans plus tard, du dernier soir d’avant-confinement, quand la pandémie rendait l’avenir incertain. En ces murs, une liberté échevelée palpite. Celle de qui réalise que tout ne tient qu’à rien, que la jeunesse n’est pas invincible, qu’un autre sale virus menace, que la guerre n’est pas qu’histoire ancienne, que ce n’est pas un alignement des planètes qu’on distingue mais celui de drones, que les atrabilaires et les pyromanes ont pris le pouvoir un peu partout.

Durant cette heure-là, là, tous ces gens qui festoient ne sont ni dans le déni ni dans l’ignorance. Ils savent parfaitement bien que les nuages s’amoncellent et que tous les pires sont à nouveau envisageables. Mais la musique de ces trois groupes n’en faisant plus qu’un leur rappelle qu’il y a plus important que ne penser qu’à gagner sa vie ou craindre de la perdre: la vivre.

 

 

 

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