Juliette Debruxelles
La « golden shower »: quand uriner fait fantasmer (chronique)
Il fait chaud, le bleu de la piscine se confond avec celui du ciel. L’eau vous appelle. Tout corps plongé dans un liquide subit un frisson vertical de bas en haut. Encore quelques pas dans le bassin et le clapotis claque à mi-cuisse, tandis que monte l’envie de faire pipi. Uriner dans une piscine publique, l’une des affres de la saison. A tel point qu’une tenace légende urbaine terrifie les contrevenants: un soi-disant colorant permettrait de révéler le relâchement des sphincters des baigneurs.
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Faire pipi dans l’eau, c’est tout à la fois soulageant, dégoûtant, libérateur, relaxant et parfois même excitant. C’est en tous cas l’avis des adeptes de la «golden shower»: des gens émoustillés par l’urine qui, ces derniers temps, se sentent de moins en moins seuls.
Lieux interlopes
La «douche dorée» se démocratise et atteindrait même le top des fantasmes actuels. L’idée de jouer avec son pipi ou celui de son ou ses partenaires ne date évidemment pas d’hier. L’urophilie est vieille comme le monde et s’explique par la proximité entre l’urètre et les organes génitaux, tout à la joie de leurs liquides et humidités.
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Mais avant de devenir mainstream, les ondinistes se voyaient taxés de pervers, de déviants, de sales gens. Il se raconte que dans des lieux interlopes, des humains consentants pouvaient passer des nuits entières à remplacer les pissotières.
L’intimité du pipi
Agenouillés, ils recueillaient les mictions de leurs contemporains et accessoirement leurs coups de reins. De quoi scandaliser certains esprits qui en oublieraient presque qu’à eux aussi, et dans une moindre mesure, il arrive de transgresser l’interdit de l’intimité du pipi. En s’accroupissant derrière un buisson au détour d’une promenade. En ressentant une délicieuse libération après avoir serré les cuisses et contracté le périnée trop longtemps dans les embouteillages aux péages.
Pour de nouvelles générations, miction ne rime pas forcément avec humiliation.
En festival ou sous la douche
Qui fait quoi dans l’intimité de sa chambre d’hôtel, de la salle de bains de son Airbnb ou derrière la paillote de la plage? Qui dit que la golden shower assumée par celles et ceux qui urinent les uns sur les autres en toute liberté ne trouve pas son origine dans le fait de s’être un jour mal essuyé – faute de papier – dans les toilettes-cabines d’un festival d’été? Qui dit que se soulager sous la douche est écologique et pas simplement orgasmique?
Et ces gars-là, pourtant munis de dix doigts et de la capacité d’ouvrir une canette, mais incapables de baisser la lunette d’une cuvette? N’est-ce pas simplement pour offrir au monde – et accessoirement à la personne qui partage leur vie – un frisson de désir quotidien à la vue de gouttes qui perlent sur l’abattant?
De la transgression à la banalisation
Sophie Calle en parlait, d’ailleurs, dans le court récit «Le mari, le divorce» publié dans Des histoires vraies (Actes Sud, 2021). Elle y racontait avec un naturel désarmant comment elle tenait régulièrement le sexe de son amant tandis qu’il urinait (Marcel Duchamp aurait apprécié), prenant soin de bien viser. Et c’est ainsi, d’œuvres transgressives en banalisation, que le retour aux sources se fit pour de nouvelles générations considérant que miction ne rime pas forcément avec humiliation.
Dans l’ondinisme le plus idéal d’aujourd’hui se mêlent respect, jeux d’eau gentils et voyeurisme consenti qui ne feraient plus rougir personne. A part vous, peut-être, si vous tardez à vous sécher et à vous mettre à l’ombre. Vous êtes dans l’eau, vous battez des jambes pour diluer, dans les dizaines de milliers de litres d’eau chlorée, les 300 ml d’urine qui viennent de s’échapper…
Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.
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