Juliette Debruxelles
La fin des relations sexuelles sur le lieu de travail ? Bonne blague !
Harcèlement sexuel et #MeToo obligent, les relations sexuelles sur le lieu de travail seraient de l’histoire ancienne. Ou, du moins, en apparence: les collègues n’ont pas cessé de s’ébattre, ils sont juste devenus plus discrets…
Elle trottine jusqu’au bureau de Monsieur le directeur, s’assied sur un coin de la table et croise les jambes, carnet à la main, stylo coquin glissé entre ses lèvres écarlates. Pour les boomers que nous sommes, la chanson de Richard Gotainer résonne: «Femmes à lunettes. Sous les lorgnettes. Les cochonnettes.» Les secrétaires: montures posées sur le bout du nez, chignon bien serré, ongles manucurés, jupe au genou pour être mieux soulevée. Et escarpins à talons réglementaires, histoire de ne pas pouvoir courir pour échapper à ce destin qui conduisit certaines d’entre elles à assumer les rejetons illégitimes du patron, conçus sur une moquette sentant le cigare et la chaussure cirée. Côté garçons, ce sont les «minets» des salons de coiffure ou des maisons de couture qui devaient satisfaire une clientèle de dames aux mains baladeuses, pinceuses, vicieuses.
Le terme «promotion canapé» entrait alors dans le vocabulaire courant.
Avoir des relations sexuelles sur son lieu de travail était pratique courante et acceptée. Un signe extérieur de réussite sociale et un sujet de plaisanterie et de vantardise assumée dans les cocktails et les dîners. Dans les années 1980, la photocopieuse, prise pour témoin, devint l’objet de fantasme numéro un. Avant les dick pics (photos de ses parties génitales prises avec un smartphone), ce sont les tirages de fesses écrasées sur la machine à imprimer qui faisaient glousser. Les soirées arrosées entre collègues qui se terminaient par un coup vite fait sur le parking et la petite levrette pour fêter le bouclage d’un dossier faisaient presque partie de la prime de fin d’année.
En 1990 sortait d’ailleurs le film Promotion canapé. Un succès français, rigolard, dont le pitch se résume à ces lignes: «Deux jeunes femmes montées à Paris pour travailler aux PTT (La Poste, quoi) se rendent compte qu’il est plus facile d’y progresser en couchant avec leurs supérieurs.» Le terme «promotion canapé» entrait alors dans le vocabulaire courant (quatre ans avant qu’«harcèlement sexuel» soit popularisé par Disclosure, avec Michael Douglas et Demi Moore).
De celles et ceux qui gravissaient les échelons hiérarchiques, on soupçonnait alors le vice. Jusqu’à ce que des Etats-Unis arrive l’idée que le droit de cuissage au bureau serait répréhensible. Non pas qu’on n’y ait pas pensé chez nous avant, mais comme les baskets et les sodas, ce qui venait de là-bas avait une autre aura. On entendait parler de règlement de travail de multinationales interdisant les relations intimes ou amoureuses entre collègues. Cette bizarrerie d’outre-Atlantique allait nous gagner.
Peu à peu, au fil des années 2000, même les couples légitimes seraient priés de rester discrets. Une étude Ifop de 2018 révélait que 33% des mille personnes interrogées s’étaient déjà livrées à des ébats ou à des jeux sexuels sur leur lieu de travail avec un ou une collègue et que 53% des concernés avaient commis le péché à l’insu des autres collaborateurs. Ça nique donc toujours dans l’arrière-boutique, mais avec l’excitation du secret en sus. Un frisson qui se trouve alimenté par les messageries instantanées internes, par les calls vidéo enjoignant les plus chauds à illustrer la baisse du chiffre d’affaires en glissant le doigt du haut vers le bas. Si l’image de la femme cachée sous le bureau la bouche pleine du pénis de son boss, c’est du passé, le «zob in job» reste d’actualité… tant que ça ne se sait.
Juliette Debruxelles est éditorialiste et raconteuse d’histoires du temps présent.
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