Nicolas De Decker
La certaine idée de Nicolas De Decker: la lutte des classes au gouvernement De Croo ou le refoulé des défoulés
Le gouvernement De Croo pratique au quotidien une lutte des classes très classique, qu’il prétend pourtant combattre.
C’est devenu un de ces gros mots qui disqualifient irrévocablement l’adversaire, un concept salissant et sulfureux qu’on envoie au visage de l’autre, ou qu’on rejette avec la mimique surjouée d’effroi des marqués d’infamie: la lutte des classes. Une expression dont on ne dit plus le nom, sinon pour s’en moquer, parce que ceux qui feraient mine de s’y adonner ne le feraient de toute façon que pour rire, pour enthousiasmer les naïfs et pour encolérer les révoltés.
Cette théorie refoulée qui postule une pratique défoulée, celle de deux camps antagonistes dans la sphère économique qui représenteraient des groupes sociaux dont les intérêts seraient intrinsèquement contradictoires, serait une invention.
Et puisque chacun la présente comme dépassée et inopérante, au contraire d’un intérêt général qui se dégagerait du mouvement rationnel des pouvoirs et des puissants convergeant vers le bien commun, puisque ce rapport au monde a disparu et que le monde auquel elle se référait s’est évaporé, c’est très simple: elle n’existe pas, en réalité.
Il n’y a pas deux camps antagonistes, et les intérêts des uns sont les intérêts des autres. D’ailleurs, ils défendent les mêmes personnes, c’est-à-dire l’ensemble de la population, il n’y a pas de lutte et ça ne concerne aucune classe sociale, parce que la lutte des classes est une invention jetée par des cyniques aux naïfs et une insulte lancée par les critiques aux cyniques.
Regardez d’ailleurs ce gouvernement fédéral lancé sur le vertueux chemin des réformes d’intérêt général.
Quand il discute des pensions publiques, il ne s’accorde pas. Il y a ceux qui disent qu’elles sont trop élevées, qu’il vaut mieux encourager ceux qui le peuvent à se constituer leur propre capital, et que ceux qui n’ont que leur travail pour vivre doivent en vendre le produit le plus longtemps possible. Et il y a ceux qui disent que ceux qui se constituent un capital devraient le partager avec les autres qui, par conséquent, pourraient arrêter de vendre le produit de leur travail, parce que leur point de vue est celui de ceux qui travaillent pour les autres.
Quand il parle d’emploi et de chômage, il ne s’entend pas. Il y a ceux qui disent que les salaires de ceux qui travaillent sont trop élevés, ils appellent ça un coût, et que les allocations de ceux qui ne travaillent pas sont trop hautes, parmi les plus hautes en Europe, ils appellent ça un piège, parce que leur point de vue est celui de ceux qui travaillent à faire travailler les autres. Et il y a ceux qui disent que les profits de ceux qui font travailler les autres sont trop élevés, ils appellent ça une marge brute, parmi les plus hautes en Europe, et qu’il faudrait qu’elles baissent pour que les salaires puissent augmenter.
Quand il veut réformer la fiscalité, il n’y arrive pas. Il y a ceux qui disent que trop de richesse privée est captée par les moyens de l’Etat, et il y a ceux qui disent que l’Etat ne trouve pas assez de moyens à capter dans la richesse privée.
Dans les deux on ne voit que ceux qui disent que la lutte des classes est une invention, mais qui la pratiquent tant qu’elle détermine chacune de leurs actions.
Tous, ils sont ceux qui se défoulent sur ce qu’ils refoulent.
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