Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker | La loi du 99 contre un

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Quand on cherche à convaincre beaucoup de monde, il faut se trouver une toute petite minorité à pointer. C’est la loi du 99 contre un.

Les marges. Tout se joue sur elles dans les derniers moments d’une campagne, et tout se construit à partir d’elles dès avant qu’elle démarre.

Pas seulement parce qu’un point de pourcentage conquis sur une marge d’erreur peut infléchir tout le récit préalable au scrutin, et pas non plus parce qu’un point de pourcentage gagné dans les urnes peut modifier toute l’équation postérieure à une élection.

Mais surtout parce que désigner une proportion marginale de la population concernée par un problème ou un aspect numériquement insignifiant d’un phénomène, offre le moins de risques de déperdition et le plus de chances de capitalisation électorales. Si we are the 99%, statistiquement, moins d’électeurs potentiels se trouvent dans le pourcentage des exclus que dans les 99 inclus, et plus on voudra rafler gros, plus il faudra viser tout petit. Moins il y a de monde dans la minorité qu’on pointe, plus il y a d’électeurs dans la majorité qu’on lorgne. Alors, on taille dans la masse des gens ciblés, dans celle des victimes qui comptent et des coupables qui intéressent, et on multiplie les one percent pour s’en distinguer.

C’est ainsi que tout le débat sur la justice fiscale, la production économique, la distribution primaire de la prospérité et la redistribution des richesses, se retrouve résumé en campagne à la taxation du pour cent le plus riche de la société, depuis que le PTB l’a estimé à ceux qui disposaient de plus de cinq millions d’euros de patrimoine, « deux pourcent sur le un pourcent », comme ils disent. Au nom de la loi du 99 contre un, les seuls riches qui comptent, ceux qu’il faut taxer, ceux qui au fond sont trop riches, sont ceux du pour cent des plus riches.

C’est ainsi aussi que tout le débat sur le travail et l’inactivité, sur la sécurité sociale et sur les finances de l’Etat, se trouve réduit en campagne à l’activation du demi pour cent de PIB le plus facilement attaquable de la société, depuis que, comme c’est écrit dans le programme des Engagés, ce petit pourcentage est «de moins en moins perçu comme légitime par les travailleurs». Les chômeurs inactifs depuis plus de deux ans comptent, chez nous, pour la moitié environ du total des chômeurs. Ils sont autour de 150.000 en Belgique, pays dont ils constituent donc un gros pour cent de la population, et ils coûtent en gros la moitié du pour cent de PIB que la Belgique dépense pour payer des allocations de chômage. C’est beaucoup moins que les pensionnés et les malades, qui sont plus nombreux et mieux défendus, mais au nom du 99 contre un, les seuls inactifs qui ne peuvent pas le rester, ceux qui, au fond, sont aussi trop riches, ceux qu’il faut saquer, sont ce pour cent de chômeurs de longue durée et ce demi pour cent de PIB.

Mais ces 2 % de trop riches, les gros patrimoines et les chômeurs endurcis additionnés, ne sont pas les seuls contestés, car la grammaire des marges est désormais celle de toute campagne. Elle biaise les analyses et contient les observations. C’est cette aveuglante grammaire des marges, que chaque parti emploie délibérément, qui limite par exemple le compte des seules femmes qui se font agresser à celles qui le sont par des immigrés, ou qui ne considère que les civils qui se font tuer par ceux qu’on n’aime pas: quand on veut rassembler 99%, il faut toujours se trouver 1 % à dénoncer.

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