Nicolas De Decker
Comment les nouveaux révisionnistes bétonnent leur pouvoir en déformant la vérité
La Belgique des jours récents recèle de nombreux exemples du révisionnisme à la minute, outil de ceux qui dominent le débat public et encre de ceux qui l’impriment.
On croyait le révisionnisme conjugué uniquement au passé, dans les deux champs, d’histoire et de doctrine politique, où il a pu prospérer. On le pensait instrument exclusif des outsiders d’une discipline, affairés à en renverser l’ordre établi. En réalité, il est l’instrument des dominants pour façonner le présent à leur avantage.
Le vieux révisionnisme des temps longs s’attaquait aux vieilles vérités pour déboulonner les statues; les nouveaux révisionnistes de la politique s’en prennent à la réalité du moment pour bétonner leur pouvoir. Les premiers étaient des réviseurs de l’avant, les seconds sont des faussaires de l’instant. Et si les premiers étaient contrés par les maîtres de l’histoire et par les gardiens de la doctrine, qui s’employaient à démonter leurs arguments, les seconds sont validés par leurs réseaux sociaux, mais aussi, à leur remorque, par les médias, qui ne s’occupent que de les relayer sans distance.
Le vieux révisionnisme s’attaquait aux vieilles vérités pour déboulonner les statues, les nouveaux révisionnistes de la politique s’en prennent à la réalité du moment pour bétonner leur pouvoir.
La Belgique des jours récents recèle de nombreux exemples de cette prospérité de la révision minute, outil de ceux qui dominent le débat public et encre de ceux qui l’impriment.
• Le Premier ministre de la Belgique, de droite, dit qu’il remettra le budget de l’Etat en ordre parce que c’est primordial. Il présente un budget qui ne remettra rien en ordre et c’est jusqu’à la Banque nationale qui confirme le désordre des mesures budgétaires et l’irréalité de leurs effets retour. Mais ce n’est rien, car quand on est Premier ministre, on est bien à son aise pour dessiner la réalité en direct, et les réseaux sociaux l’acclament.
• Le président du plus grand parti francophone, de droite, dit que les fusillades à Anderlecht sont le bilan exclusif et absolu de la gauche. Son parti est au gouvernement depuis 26 ans, la gauche n’exerce plus depuis des millénaires les compétences policières ou judiciaires, les fusillades sont donc matériellement plus du ressort de sa droite que de cette gauche. Mais ce n’est pas grave, car quand on est président du plus grand parti francophone, on décide des faits comme on les veut, et les observateurs opinent.
• Le président du plus grand parti bruxellois, de droite, dit qu’à Bruxelles il faut respecter le résultat des élections et installer le gouvernement régional le plus à droite possible. Mais à Bruxelles, la gauche est majoritaire et respecter le résultat des élections impliquerait d’installer le gouvernement régional le plus à gauche possible. Mais peu importe, car quand on est président du plus grand parti bruxellois, on voit la vérité où elle n’est pas, et les éditorialistes s’énervent en exigeant de la gauche qu’elle gouverne Bruxelles le plus à droite possible.
• Le ministre-président de la Wallonie, de droite, se dit révolté par une décision du précédent gouvernement, qui a pris des mesures dont les implications budgétaires étaient mal calculées. Il était membre du précédent gouvernement et il y était même ministre du Budget. Mais on s’en fiche, car quand on est ministre-président de la Wallonie, on peut bien réviser l’actualité quand on a mal révisé les comptes.
Et personne n’en dira rien.
Et s’il y a quelqu’un pour le dire, tous les révisionnistes de l’instant s’entendront pour l’accuser de propager des fake news, que l’on reconnaît au fait qu’elles sont des révisions ratées, parce que visibles, de la réalité.
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