Juliette Debruxelles
Introduction littéraire à l’E-dirty talk ou l’art de la conversation salace
L’art de la conversation salace s’apprend, comme n’importe quelle autre délicieuse activité sexuelle. Relation à distance? Souffle sur les braises d’une relation éteinte? Désir profond pour une personne fantasmée? Prémices à un moment torride dans la vraie vie? Qu’importe les raisons pourvu que se fasse sentir l’ivresse du souffle coupé à la réception d’un message étourdissant.
Pour bien «E-dirty talker» (converser crûment grâce aux moyens de communication digitaux), il convient avant tout de cesser de tergiverser et d’estimer le degré de réceptivité de l’interlocuteur. Vous croyez jouer les subtiles en envoyant des émojis banane-cerises-fruits à noyaux? A part une recette de crumble ou de tarte aux abricots, vous ne risquez pas de recevoir grand-chose en retour si la personne ne joue pas dans la même cour.
Il va falloir être explicite. Affronter le frisson d’excitation et de honte qui accompagne les premiers échanges maladroits. L’écriture – en particulier érotique – est un don de soi. Un prérequis s’impose donc: pour E-dirty talker avec finesse et volupté, il convient de s’adresser à des personnes lettrées. Vous ne distribuez pas des tracts promotionnels au tout- venant, vous (vous) offrez des moments impudiques précieux, choisis et exclusifs.
Une fois obtenu le consentement mutuel à entrer dans le secret relatif de vos écrans respectifs, un obstacle se dresse (et pas que). Comment dire quoi? Il est ici essentiel de s’accorder sur le lexique à employer, histoire de ne pas faire retomber la sauce (métaphore discutable) pour un mot maladroit. A moins que ça soit vraiment un statement ou une perversion assumée, oubliez le vocabulaire enfantin (vous avez 40 ans, ce n’est pas une «marguerite» ni une «zézette» que vous avez entre les jambes) et le jargon médical («Je me sens pris de priapisme, le tissu érectile de mon pénis se gorge», c’est non). Notez également que vous n’êtes pas là pour réimprimer Madame Bovary et que vos messages, pour être efficaces, ne devraient pas avoir la longueur d’un Tolstoï. «Aboutit!», aurait-on envie de dire.
Il est ici essentiel de s’accorder sur le lexique, histoire de ne pas faire retomber la sauce.
Autre avertissement: vos doigts (ceux de la main qui ne sera pas entre vos cuisses émues) vont trembler sur le clavier et vous n’êtes pas à l’abri d’une initiative de votre correcteur d’orthographe. Prudence! Car «l’abeille coule» ou «Je te verrais bien en curé, avec une calotte» sont des contrepèteries qui ne font même plus rire les vieux cochons des Grosses Têtes (indice, sinon ça va vous prendre la journée: il s’agit, pour cette histoire de curé et de calotte, d’inverser le r et le l).
A proscrire: la diffusion et le copier-coller. Le droit d’auteur devrait être appliqué aux grandes déclarations, aussi grivoises soient-elles. Les exposer et les recycler sont des atteintes à la dignité. C’est ce qui différencie un élan salace sincère et émouvant d’une usine à fabriquer de la viande hachée (composée à parts égales de porc et de votre cœur en lambeaux).
Besoin d’exercices d’échauffement avant votre rentrée littéraire? Prenez un stylo et un cahier (imaginez cette injonction avec le ton d’une directrice d’école si ça vous émoustille) et dressez la liste des mots qui vous font chavirer. Pensez ensuite à la sensation que vous procure la scène la plus torride de votre bibliothèque de fantasmes personnels et écrivez, décrivez, corrigez. La chaleur vous monte aux joues? Votre ventre produit de l’électricité? Vous venez de réveiller la plume de votre sensualité. Bonne rentrée (dans tout ce que vous voulez)!
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