Franklin Dehousse

Elections européennes: la montée de l’Europe de Weimar (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Une économie et une société non remises d’une crise financière profonde, un régime politique discrédité et instable: tel est l’état de l’Europe après le 9 juin.

Après les élections de 2024, l’Union européenne ressemble de plus en plus à l’Allemagne de Weimar. Une économie et une société non remises d’une crise financière profonde. Un régime politique discrédité et instable. L’émiettement des partis. La montée de la violence, des extrêmes, et spécialement de l’extrême droite.

Nombre de commentateurs se rassurent en soulignant que ces élections ont laissé subsister une majorité «démocratique» ou «centriste» au Parlement européen. Ils ne songent toutefois, comme d’habitude, qu’aux nominations. Après celles-ci, il faut encore une majorité parlementaire stable et fiable pour gérer les cinq ans de législature. Ces commentateurs négligent en outre que l’Union comprend plusieurs institutions. La plus déstabilisée par les élections s’avère, paradoxalement, le Conseil européen. L’extrême droite comme les populistes ne font pas des percée partout. En revanche, ils connaissent un progrès global. Et surtout l’extrême droite recueille un puissant succès dans deux Etats vitaux, l’Allemagne et la France. Dans les deux cas, ce succès intervient par surcroît aux dépens du gouvernement, et malgré une multiplicité d’affaires judiciaires.

En Allemagne, le gouvernement Scholz a encore perdu de la crédibilité. A eux trois, ses partis représentent maintenant moins que la CDU/CSU (30%). En France, la situation est pire. Le parti du président représente… deux fois moins (15%). Cela a certainement contribué à la décision d’Emmanuel Macron de provoquer des élections législatives éminemment risquées. Le régime électoral français combiné aux aléas des reports rend le résultat imprévisible. L’hypothèse la moins improbable demeure toutefois celle d’une Assemblée nationale encore plus ingérable que l’actuelle (ce qui n’est pas peu dire).

Une chose est sûre: ces deux gouvernements auront beaucoup de difficultés à pousser des initiatives sur la scène européenne dans les douze prochains mois. Or, le duo germano-français joue depuis des décennies un rôle de moteur essentiel. Là réside le danger. L’Union européenne se trouve dans une position beaucoup plus inquiétante que ses électeurs et ses dirigeants le croient. D’une part, la menace russe devient plus forte en Ukraine. N’importe quel accident politique américain aggravera encore la situation géopolitique. D’autre part, la détérioration des finances publiques risque de provoquer de forts conflits liés à une nouvelle vague d’austérité (notamment en Italie, en France et en Espagne). Et ne mentionnons même pas ici le défi climatique, presque ignoré.

Enfin, dans ce contexte, un second mandat de la présidente von der Leyen apparaît comme une menace additionnelle. Mauvaise gestionnaire, peu éthique et transparente, changeant vite d’opinion selon ses intérêts du moment (Chine, vaccins, austérité, Green Deal, et on en passe…), elle n’apparaît plus comme un facteur de stabilité, au contraire. Face à cette situation, les marchés européens comme l’euro ont commencé à se replier. Pourraient-ils avoir compris quelque chose qui échappe encore à la classe politicienne?

Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire