Franklin Dehousse

Où va l’Europe en 2025? (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

S’ils veulent protéger leur place dans le classement mondial du bonheur, les citoyens européens devront aussi s’investir davantage dans son projet.

Il existe beaucoup de raisons de s’inquiéter pour l’Europe en 2025. D’une part, les défis sont menaçants. L’Ukraine perd de plus en plus de terrain face aux offensives russes (et à la suite des promesses non tenues de ses alliés occidentaux). Une nouvelle crise budgétaire avec les Etats membres s’annonce à l’horizon (associant la France et l’Italie, elle sera bien plus dangereuse qu’avec la Grèce naguère). La multiplication des guerres au Moyen-Orient risque de provoquer une nouvelle crise migratoire. Enfin, au-dessus de tout cela, le dérèglement climatique s’approfondit.

Ces lourdes charges sont encore plus difficiles à gérer en raison de l’inadaptation de l’Union européenne. D’une part, ses institutions sont trop pesantes, et n’ont pas été conçues pour permettre à 27 Etats et 400 millions de personnes de gérer autant. On voit la multiplicité des blocages récents sur le soutien à l’Ukraine, le budget, la protection de l’Etat de droit ou le Moyen-Orient. D’autre part, la classe politicienne européenne brille par sa profonde médiocrité. La formation de la nouvelle Commission von der Leyen a renforcé une image de manipulations. Tout comme le début du procès sur les SMS camouflés par la présidente dans le dossier des vaccins, où la Commission a brillé par son inconsistance. Le débat d’investiture du Parlement européen a révélé un grouillement de manœuvres perverses, où défendre la compétence des commissaires constitue en réalité la dernière des priorités. Cette Europe-là n’est plus qu’un amoncèlement de calculs personnels.

En Europe, les institutions fonctionnent mal, mais elles fonctionnent encore.

Une appréciation réaliste requiert toutefois de comparer la situation de l’Europe avec celle des autres puissances mondiales. On réalise alors qu’elle s’en tire mieux –ou, plus exactement, moins mal– que les autres. La Chine souffre d’un dictateur obsédé par l’impact de Taïwan sur sa propre grandeur –au détriment des intérêts de ses concitoyens. La Russie souffre d’un dictateur obsédé par l’impact de l’Ukraine sur sa propre grandeur –au détriment des intérêts de ses concitoyens. Et maintenant les Etats-Unis ont élu un président obsédé par sa propre grandeur, et dont les nominations révèlent une ferme volonté de sortir de l’Etat de droit. Les quatre années à venir risquent d’être fortement déstabilisantes, pour les concitoyens de Trump, mais aussi pour leurs alliés.

En Europe, les institutions fonctionnent mal, mais elles fonctionnent encore. L’économie progresse peu, mais elle progresse encore. L’Etat social protège mal, mais il protège encore. Dans le «World Happiness Report» de l’ONU de 2024, parmi les 20 premiers pays les mieux notés de la planète figurent pas moins de quatorze Etats européens.

Les électorats sentent néanmoins que ces acquis sont largement menacés, ce qui explique leur grande nervosité. Certes, l’incapacité des dirigeants politiques à définir –et expliquer correctement– un projet positif traduit les succès du populisme, comme vient encore de le montrer l’exemple américain. Toutefois, s’ils veulent protéger leur place dans le classement mondial du bonheur, les citoyens de l’Europe devront aussi s’y investir davantage. Sinon, comme le montre l’actualité, Trump, Poutine, Xi, et les oligarques le feront à leur place, et pas à leur avantage.

Franklin Dehousse est ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes et ancien juge à la Cour de justice de l’UE.
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