Nicolas De Decker

Entre Les Engagés et le MR, ce n’est déjà plus l’amour fou: pourquoi leur duo se transforme en duel

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le MR et Les Engagés avaient annoncé composer un axe fort après le 9 juin. Mais cet axe a perdu de sa solidité et le duo est devenu un duel. Demandez à la ministre de la Culture Elisabeth Degryse, pour voir…

C’est parti comme une saillie d’habitude de Georges-Louis Bouchez et voilà que ça annonce la fin d’un duo et le début d’un duel entre son parti et Les Engagés.

Le MR et Les Engagés, quand ils ont composé les gouvernements francophones, puis quand ils sont entrés en négociation là où elles ne sont pas terminées, à Bruxelles et au fédéral, ont passé quelques mois ensemble. Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot se sont affichés tous les deux partout. Ils avaient constitué un axe. Cet axe les servait. Il prolongeait leur victoire commune mais pas collective, du 9 juin, et renforçait le message d’alternance que tous deux, chacun à sa manière, avaient porté.

Mais au fil des mois le trait de l’un a grossi, tandis que l’autre s’est senti relégué aux pointillés, et entre le MR et Les Engagés, il est temps d’un peu se distancier. Ce qui a provoqué cette conséquence inhabituelle d’une saillie très habituelle: une femme de gauche se revendique de Nicolas Sarkozy, et une ministre-présidente contredit le président d’un parti allié qui trouvait que son métier ne servait à rien.

Chaque week-end, Georges-Louis Bouchez a en effet sa routine. Il choisit un journal bien gentil, chaque samedi un différent, qui lui ouvre ses pages bien larges. Il y place une petite phrase politicienne ou l’autre, toujours bien pleine de la supériorité morale qu’il veille bien à afficher partout. Cette petite phrase politicienne est virale et donc elle vrille, la gauche s’énerve et elle a l’air bête tandis que les experts le contredisent, ce qui leur donne un air de gauche, et alors il tient comme ça quelques jours jusqu’à la prochaine weekend routine.

C’était parti comme ça quand il a dit dans Le Soir que, dans son monde idéal, il n’y aurait pas de ministre de la Culture. La preuve que c’est idéal, a-t-il dit, c’est que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de ministre de la Culture qu’il n’y a pas de culture, et il a pris les Etats-Unis en exemple, où il n’y a pas de ministre de la Culture fédéral mais pourtant un ministère qui est une énormité bureaucratique, et où il y a cinquante ministres de la Culture fédérés et presque dans chaque ville. Mais il ne faut pas trop le contredire sinon on aura l’air d’un expert. Mais peu importe.

Les experts ont contredit et la gauche s’est énervée, et comme chaque week-end tout allait donc parfaitement bien pour Georges-Louis Bouchez. Mais la personne dont Georges-Louis Bouchez a dit qu’elle ne devait pas se sentir concernée par le fait qu’il souhaite que son métier disparaisse s’est évidemment sentie concernée. Cette personne, Elisabeth Degryse, est de gauche mais son parti ne l’est pas. Elle est de gauche et son parcours le prouve, elle vient des mutualités chrétiennes, et elle était énervée mais elle ne l’a pas fait savoir comme une personne de gauche énervée, et par ce fait même elle n’a pas eu l’air bête que se donne souvent la gauche énervée, et qui arrange bien Georges-Louis Bouchez. Elle est de gauche et elle est ministre de la Culture et ministre-présidente, mais elle est dans une coalition avec Georges-Louis Bouchez et elle est ministre parce qu’elle doit marquer la rupture avec la gauche. Mais elle est de gauche et son parti qui n’est pas de gauche commence à trouver qu’il se fait manger tout cru par son partenaire de coalition. Donc elle est de gauche mais elle n’a pas cité, disons, Aragon. Elle s’est revendiquée de Nicolas Sarkozy, que Georges-Louis Bouchez imite depuis tout petit, et qui pourtant trouvait très bien qu’il existe un ministre de la Culture.

Elle est de gauche, lui pas, et elle déteste sans doute Nicolas Sarkozy, lui l’adore. Alors elle cite l’original pour contredire la copie. Son parti, qui n’est pas de gauche mais souffre d’être associé au parti de Georges-Louis Bouchez, doit s’en distinguer, mais pas en citant Aragon parce que ça donne trop l’air d’être un poète de gauche. Il fallait trouver un ingénieur de l’indignité comme Nicolas Sarkozy pour gâcher la routine sabbatique de Georges-Louis Bouchez. Il fallait que ce soit elle qui, la première, frappe le plus fort, pour marquer le coup, L’Engagée qui ferait savoir qu’elle n’est pas d’accord avec le président du parti avec qui elle gouverne. Et pour montrer que le duo que formaient depuis le 9 juin le MR et Les Engagés s’est déjà transformé en duel.

Cela ne pouvait pas être un autre qu’Elisabeth Degryse. Parce qu’elle était directement concernée, bien sûr. Mais aussi et surtout parce que parmi les nombreuses recrues promues par Maxime Prévot, Olivier de Wasseige, Jean-Jacques Cloquet ou Vincent Blondel, marquèrent bien à droite l’ouverture vers la société civile caractérisant la transformation du CDH en Les Engagés. Elles sont de ce fait moins enclines à rentrer dans le lard libéral. Il y aura sans doute Jean-Luc Crucke aussi, en tant que ministre fédéral potentiel et comme possible vice-Premier, qui pourrait devoir bientôt partager de nombreux conseils des ministres avec Georges-Louis Bouchez, qui se verrait bien entrer dans le prochain gouvernement De Wever.

Parce que le MR monopolise l’attention, et parce qu’il gauchise tout ce qu’il touche, d’Alexander De Croo aux médias avec qui il n’est pas d’accord, Les Engagés ont eu du mal à faire entendre leur voix ces derniers mois. Leur relatif silence face aux propos toujours plus francs des réformateurs, et spécialement de leur président borain, Georges-Louis Bouchez, les a posés en complices apparents, voire manifestes, de ces derniers, y compris lorsque la franchise boraine heurtait un électorat que la formation de Maxime Prévot avait attiré le 9 juin et le 13 octobre. Que les syndicats enseignants s’en prennent aux mesures de Valérie Glatigny ne fait pas perdre de voix au MR, au contraire. Que les mutuelles et les travailleurs de la santé se révoltent contre les dispositions que souhaite prendre l’Arizona au fédéral est au fond une bonne publicité pour les réformateurs. Que les pensionnés et les futurs pensionnés se demandent à quels efforts ils seront bientôt forcés n’inquiète pas les bleus de la Toison d’Or.

En revanche, beaucoup d’Engagés estiment problématique le déshonneur par association, et il l’est, puisque les mutuelles, les travailleurs des soins de santé, les enseignants et leurs syndicats ne sont pas des adversaires, et certains sont mêmes des soutiens.

Il y a eu des précédents, lorsque Maxime Prévot, au mois d’août, a fait envoyer un communiqué déplorant que le MR se soit opposé à «une seule mesure» de la supernota de Bart De Wever, la taxation des plus-values boursières. Il y a eu une date importante, le 13 octobre, puisque Les Engagés ont encore crû aux élections communales et provinciales, tandis que les bleus ont plafonné, et qu’avec 24% en Wallonie contre 28% pour le MR, les turquoises se sont hissés à la deuxième place et sont devenus de potentiels rivaux. Les discussions dans certaines communes, pensons à Wavre et Nivelles, et dans certains provinces, rappelons le Brabant wallon et le Hainaut, ont été très difficiles. C’est peut-être pour ça que le MR prend beaucoup moins de précautions.
Et c’est à coup sûr pour ça que le duo MR-Les Engagés a déjà, et sans doute définitivement, viré au duel.

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