Franklin Dehousse

Elections américaines : « Roulette russe pour l’Europe » (chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Pour Franklin Dehousse (ULiège), les élections américaines de 2024 représentent un défi existenciel pour l’Europe.

En 2024, l’élection la plus essentielle pour l’Europe se déroulera aux Etats-Unis. Elle sera même l’élection de tous les dangers. Joe Biden n’est pas seulement vieux, il est aussi plombé par une polarisation de plus en plus brutale de l’opinion, une vice-présidente peu impressionnante, un fils impliqué dans divers scandales.

Certes, Donald Trump porte de son côté une multitude de procédures judiciaires, un langage qui singe Mussolini et une incompétence de plus en plus manifeste depuis la catastrophe du Covid-19. Néanmoins, il faut bien constater que son emprise sur son parti a grandi depuis 2016 et 2020. Sa suprématie sur ses concurrents républicains est plus forte, sa préparation au pouvoir meilleure, et jusqu’ici, les sondages lui donnent un réel espoir d’être élu une nouvelle fois.

« Un culte de Trump »

Les aléas des douze prochains mois sont, de plus, considérables. Biden comme Trump peuvent subir un accident médical. Trump peut se retrouver en prison. La guerre en Ukraine peut déraper brutalement et le conflit au Proche-Orient s’étendre. Une récession peut survenir avec la forte montée des taux d’intérêt. Au-delà, viennent les aléas des élections. Trump perdant contestera certainement les résultats. Les manipulations électorales républicaines dans plusieurs Etats pourraient aussi amener le Parti démocrate à contester Trump gagnant. Même si Biden gagne, il peut se retrouver face à une ou deux chambres à majorité républicaine.

Il règne pour le moment un climat préfasciste aux Etats-Unis. Les menaces incessantes de Trump contre ses critiques de tous bords, ses connexions évidentes à l’extrême droite, la servilité des autres leaders républicains, les discours de violence sur les réseaux sociaux, la multiplication des publications sur une possible guerre civile installent un climat délétère. Comme le dit l’ancienne gouverneure républicaine Christine Whitman, «le Parti républicain est devenu un culte de Trump».

Un défi pour l’Europe

Tout cela provoque un défi existentiel pour l’Europe. Notre sécurité a toujours dépendu des Etats-Unis. Or, l’Union européenne est confrontée, avec Vladimir Poutine, à la pire menace depuis la mort de Staline, qui dépasse l’Ukraine et vise certains de ses membres.

Notre dépendance augmente aussi sur les plans économique, énergétique et technologique. En 2017, Angela Merkel annonçait déjà que «l’Europe devrait assurer sa sécurité elle-même». Elle n’a rien accompli pour cela, bien au contraire. Elle a poussé à plus d’accords avec la Russie et la Chine. Elle a même laissé sa ministre Ursula von der Leyen ravager la Défense pendant six ans.

Qu’a fait l’Europe depuis ce brillant constat? Pas grand-chose non plus. Notre dépendance extérieure, énergétique comme technologique, a encore augmenté. Le budget européen reste étriqué, les efforts militaires communs une anecdote, et les institutions inadaptées. Les dirigeants européens continuent, en revanche, à mener leurs petits jeux personnels et à multiplier les promesses creuses, notamment sur de nouveaux élargissements. Mais le réveil en janvier 2025 pourrait se révéler extrêmement brutal. Il faudrait peut-être en avertir enfin le public.

Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.

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