L’inflation de création de postes à la Commission et au Parlement jette le discrédit sur l’action des dirigeants européens.
Ursula von der Leyen est critiquée pour avoir nommé un parlementaire allemand ami à un poste administratif fort bien rémunéré, avant que celui-ci y renonce. C’est tout à fait justifié. Personne, en revanche, ne soulève un autre problème: ce poste a-t-il la moindre utilité?
Il faut, dit-on, représenter la Commission en matière de petites et moyennes entreprises. Mais quelles sont ses attributions? A peu près rien. Très peu d’argent, ou de règles spécifiques, là. Le grand impact de l’Europe sur les PME demeure le marché unique. Même en admettant le moindre intérêt de la fonction, se pose une deuxième question: n’y a-t-il pas déjà un représentant? S’il n’en existe pas, Ursula von der Leyen gère extrêmement mal la Commission. Celle-ci contient en effet deux fois trop de commissaires, de sorte que certaines matières sont parfois partagées entre deux ou trois d’entre eux. Si les PME constituent un impératif, pourquoi n’a-t-elle pas désigné un tel commissaire dès 2019?
Il n’y a ici, pour être correct, aucun monopole de von der Leyen, ou de la Commission. Après 2016, le président Jean-Claude Juncker a nommé Michel Barnier représentant pour le Brexit. Il a été rémunéré comme directeur général, et a sillonné l’Europe pendant des années aux frais du contribuable. Nécessité: nulle. La meilleure preuve est qu’après Barnier, un commissaire a été nommé pour négocier les accords suivants. On aurait pu le faire dès 2016. Le calcul de Juncker consistait à réduire le rôle de ses collègues dans la négociation. Celui de Martin Selmayr, son âme damnée, à préparer un autre président de Commission faible, derrière lequel il continuerait à régner.
En 2022, pour nommer son chef de cabinet Alessandro Chiocchetti au secrétariat général du Parlement, la présidente Roberta Metsola, autre phare de la gestion, a créé un nouveau poste de directeur général adjoint pour un candidat libéral. Et un nouveau directorat général pour les «partnerships de la démocratie parlementaire» (sic) pour la gauche révolutionnaire. Voilà comment nos impôts servent à financer une bureaucratie obèse. Cela, sans même prendre en compte une autre vache sacrée de l’Europe: l’égalité de représentation des Etats membres, qui nous vaut des centaines de juristes dans les deux cours et parmi les procureurs européens, les directeurs généraux de la Commission, ou les «hauts» représentants de toute nature. On se demande si la vraie langue officielle de l’Union n’est pas le «bureaucra-toc», permettant la création continue de nouveaux jobs qui sont du toc.
L’autre utilité de ce manège consiste à offrir au public crédule l’illusion de l’action. Ainsi, von der Leyen propose de créer un commissaire à la Défense. Cela permettra de masquer l’absence, depuis deux ans, d’une réelle stratégie de réarmement à bas coût. Le groupe Renew propose un commissaire de «la mise en œuvre». Un humoriste très lucide propose même «un commissaire en charge de la répartition des portefeuilles de commissaire». Sans doute prémonitoire dans la perspective de l’élargissement, avec une future Commission à 30 ou 35 membres.
Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.
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